Müpa, 8 mars
Entamée en 2014, la collaboration entre Versailles – Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de Musique Baroque, proposant titres et nouvelles éditions critiques, et construisant la distribution – et Budapest – György Vashegyi, dirigeant ses Orfeo Orchestra et Purcell Choir – est désormais bien installée dans le paysage musical européen. Deux fois l’an, elle se concrétise par un concert et un enregistrement, sous étiquette Glossa, d’opéra baroque français, alternant œuvres connues, mais jouées dans des éditions rares, et découvertes absolues.
Le Dardanus de Rameau relève évidemment de la première catégorie, puisqu’il est donné dans la version de 1744, radicalement différente de celle de la création, en 1739. Une bonne partie du merveilleux est évacuée du livret, au profit d’une dimension plus tragique. Quant à la musique, si le Prologue et les deux premiers actes subissent des remaniements, les trois suivants sont complètement nouveaux. Côté airs célèbres, on perd l’illustre « Monstre affreux » d’Anténor, mais Dardanus y gagne le superbe « Lieux funestes ».
György Vashegyi mène la soirée avec l’élégance et le dynamisme qu’on lui connaît. Est-ce justement parce qu’on connaît bien sa direction qu’on commence à en voir davantage les limites ? Oui, le son est riche, voire opulent, mais n’est-il pas trop uniforme ? L’énergie de la battue ne rend-elle pas les récits trop mesurés, et l’inégalité dans le jeu instrumental trop parcimonieuse ? Certes, cette lecture dégage une impression dramatique, mais n’est-elle pas plus générique que réellement fouillée ?
Chez Rameau, le drame naît souvent du changement et du contraste : ici de la transition d’un récitatif à un air, là d’un simple changement de mesure, ailleurs de l’instrumentation. Avec le chef hongrois, tout est traité de façon efficace, mais dans une approche très globale. Il manque un véritable intérêt pour la variété infinie et la subtilité des caractères, ainsi que, plus largement, un vrai théâtre, par-delà l’effet du décor vigoureusement planté.
Le chœur présente ses atouts et limites habituels : très bonne préparation, mais faible investissement des mots et de la couleur – sans parler de l’éternel problème du pupitre de hautes-contre tenu par des contre-ténors.
L’équipe de solistes se distingue d’abord par l’intelligibilité de son français, à une exception près. Judith van Wanroij, soprano au beau timbre assez corsé, mais aux voyelles excessivement couvertes et au débit pâteux, livre ainsi une Iphise souvent incompréhensible, de surcroît bien peu investie.
Autrement intéressante, Chantal Santon Jeffery assume, avec beaucoup de panache, les deux rôles les plus virtuoses de la partition, aux tessitures au demeurant fort différentes. On apprécie particulièrement sa Vénus à la voix brillante, conciliant fermeté et sensualité, avec même une touche de second degré.
Comme lors de la création, Teucer et Isménor reviennent au même interprète. Deux emplois de basse étendus, demandant une grande aisance dans l’aigu. Isménor paraît un peu trop grave pour Thomas Dolié, qui doit octavier les fa sous la portée. Pour le reste, le baryton français, très en voix, montre autant d’autorité que d’éloquence.
L’autre basse-taille, Anténor, n’est autre que Tassis Christoyannis, qui offre un chant et une diction irréprochables. En revanche, il reste sur la réserve théâtralement, dans un personnage sans doute moins intéressant ici que dans la version de 1739.
Le rôle-titre enfin, qui n’est extrême ni dans l’héroïsme, ni dans la virtuosité, convient bien à Cyrille Dubois. Le timbre est beau sur toute la tessiture, avec une aisance dans l’aigu – deux contre-ut compris – remarquable. Dommage qu’à la toute fin, l’ariette vive expose la vocalisation étonnamment laborieuse de cette voix pourtant bien éduquée.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © MÜPA BUDAPEST/JÁNOS POSZTÓS