Comptes rendus Virus (éditorial du numéro d’avril)
Comptes rendus

Virus (éditorial du numéro d’avril)

16/03/2020

Comment vous entretenir d’autre chose que du coronavirus (Covid-19) ? J’écris cet éditorial le 15 mars, à la fin d’une semaine qui a complètement bouleversé l’existence de millions d’hommes et de femmes à travers le monde. Tous les domaines de la vie quotidienne sont concernés par les décisions de fermeture intervenues ces jours derniers. Rédacteur en chef d’un magazine d’art lyrique, je me bornerai à vous parler de leur impact sur l’univers de l’opéra.

Les premières décisions radicales sont venues d’Italie, pays européen le plus touché par ce que l’OMS qualifie de « pandémie ». Le 4 mars, le gouvernement a décidé de fermer, jusqu’au 3 avril, la plupart des théâtres de la Péninsule, parmi lesquels les emblématiques Scala de Milan, Fenice de Venise, San Carlo de Naples…

Quelques jours plus tôt, sans fermer les salles, la Suisse avait décidé de limiter à 1 000 la jauge des personnes présentes lors d’une représentation. C’est ainsi que j’ai vu Les Huguenots, au Grand Théâtre de Genève, le 4 mars, avec des sièges vides tout autour de moi, alors que, la veille, La Dame de pique s’était jouée dans des conditions normales à l’Opéra de Nice (voir nos pages « Comptes rendus » dans ce numéro).

Le 8 mars, la France prenait la même mesure de limitation de jauge, véritable casse-tête pour les théâtres, contraints d’annuler (s’agissant des plus grandes salles) ou de trouver des expédients (pour celles de taille moyenne), parmi lesquels l’exclusion de spectateurs ayant déjà pris leur billet, en les remboursant, bien sûr.

Beaucoup de directeurs ont poussé un « ouf » de soulagement, satisfaits de pouvoir poursuivre l’activité, même dans des conditions aussi acrobatiques. Jusqu’au coup de massue du 13 mars, quand le Premier ministre a annoncé l’abaissement de la jauge à 100 personnes, suivi d’un deuxième, le 14 mars, avec la fermeture complète de toutes les salles de spectacles.

Dès le 13 mars, j’ai vu ainsi arriver, sur ma messagerie électronique, une rafale de communiqués de presse, émanant de tous les théâtres lyriques de l’Hexagone, mais aussi de l’étranger, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, les États-Unis… ayant également décidé de tout annuler. Jusqu’à quand ? La réponse, quand il y en a une, diverge en fonction des maisons : 3, 5, 10, 15, 19 avril… L’Opernhaus de Zurich, lui, annonce carrément le 30 avril.

Avant d’en venir aux conséquences pour l’économie de l’art lyrique dans son ensemble, sachez qu’Opéra Magazine sera évidemment impacté. Il l’est déjà, dans la mesure où, alors qu’elles étaient déjà mises en page, certaines rubriques de ce numéro sont en partie caduques : « Agenda », « On en parle », « À ne pas manquer ». Et il le sera encore davantage : sur les 54 comptes rendus prévus dans l’édition de mai, au moins 43 concernaient des productions d’ores et déjà fermées au public ou reportées !

La question du report est effectivement envisagée par de nombreuses maisons, avant l’été pour les récitals, dans le cadre d’une future saison, pour les opéras. À l’étude, également, voire déjà expérimentée, la possibilité de filmer, à huis clos, les spectacles, pour une retransmission en direct ou en différé. Autant d’initiatives louables, qui ne sauraient masquer la catastrophe que représente le Covid-19 pour le monde de la culture.

Tous sont concernés : les théâtres, leurs personnels, les artistes, leurs représentants… Comme me disait un directeur, le 14 mars, « on va tous boire le bouillon » ! Avec la précision essentielle, rappelée par Martin Ajdari, directeur général adjoint de l’Opéra National de Paris, le 12 mars, sur le site internet Olyrix : « Il n’y a pas d’assurance épidémie ou pandémie. »

Les conséquences du « bouillon », de surcroît, ne seront pas les mêmes pour tous, avec des différences, par exemple, entre salariés et intermittents. À ce propos, je viens de recevoir un communiqué de l’Association Française des Agents Artistiques, qui me semble bien résumer les enjeux, et dont voici des extraits.

« Les récentes mesures consécutives prises par le gouvernement ont considérablement affecté le secteur culturel. Les salles de spectacles se voient annuler la totalité de leurs représentations, les artistes sont directement et très fortement affectés par ces mesures restrictives. Il en va de même pour notre profession et l’ensemble des professionnels de la culture. (…) Dans ces moments difficiles pour tous, l’AFAA fait appel à la compréhension du gouvernement et demande un engagement de la part des responsables politiques envers notre secteur, notamment avec la création d’un fonds de dédommagement permettant d’assurer la rémunération des artistes et de leurs agents, et la mise en place de mesures exceptionnelles concernant les délais de déclarations pour l’intermittence – le statut d’intermittent (…) étant dorénavant en danger. »

Comme d’habitude, en cas de crise grave, c’est donc des pouvoirs publics (État et collectivités locales) que l’on attend le salut. Ce qui n’empêche pas les initiatives individuelles : aussi modestes peuvent-elles paraître, elles sont à la fois gages de solidarité et d’espérance. Ainsi du vaste mouvement, lancé à l’échelle mondiale, consistant, pour les spectateurs, à ne pas réclamer le remboursement de leurs billets.

Une période de grande incertitude s’ouvre devant nous. En trente-six années de métier, je n’ai jamais rien connu de comparable. J’espère pouvoir, la prochaine fois, vous entretenir de sujets plus gais, notamment de la programmation des différents théâtres pour la saison 2020-2021, déjà annoncée par de nombreuses maisons. C’était prévu dans ce numéro, mais le Covid-19 en a décidé autrement.

RICHARD MARTET

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