Théâtre des Arts, 4 mars
David Bobée se consacre essentiellement au théâtre parlé, mais il a déjà connu de belles réussites dans le domaine lyrique, comme La Nonne sanglante, à l’Opéra-Comique ou, déjà à l’Opéra de Rouen Normandie, un Rake’s Progress remarqué.
De son propre aveu, l’histoire d’amour entre Mario et Floria – pourtant à la base de toute la dramaturgie puccinienne – ne l’intéresse pas beaucoup, contrairement au personnage de Scarpia, plus atypique, il est vrai, avec son mélange de bigoterie réactionnaire, d’obsession sexuelle, de violence et de manipulation.
Le metteur en scène français propose ainsi quelques pistes intéressantes, notamment une réflexion sur les rapports de domination détruisant le système qu’ils sont censés préserver. D’où cette nef d’église, solidement bâtie au premier acte, qui s’effondre au début du troisième, en laissant errer des fantômes humains dans ses décombres.
Tout cela reste néanmoins relativement banal, à l’instar du salon très années 1970, dans lequel se déroule le cruel deuxième acte. Sans parler de quelques libertés condamnables avec la lettre et l’esprit de l’œuvre, comme l’absence des enfants dans le « Te Deum » ou, dans le même passage, ces choristes à la fois serviteurs de la liturgie et auxiliaires de police.
Spécialiste d’Aida, qu’elle a incarnée sur diverses scènes de haut rang, notamment le Metropolitan Opera de New York, la soprano américaine Latonia Moore possède toutes les qualités d’une bonne Tosca : la suavité du timbre, la puissance, les nuances, l’égalité des registres. Un rien prudente au début, elle se déchaîne à partir du II, incarnant avec intelligence et sensibilité son personnage.
Le ténor italien Andrea Carè, lui aussi d’abord sur la réserve, offre un timbre solaire, un beau legato et un aigu facile. La sensualité est bien présente dans le duo d’amour du I, mais c’est encore davantage son ardeur militante et républicaine, sa bravoure juvénile devant Scarpia, qui nous séduisent.
Le sinistre Baron trouve en Kostas Smoriginas un interprète à la hauteur de la complexité du rôle. La voix manque un peu de noirceur, mais cela convient à l’image que David Bobée entend donner du personnage. Loin du « méchant » de mélodrame, le baryton-basse lituanien incarne un manipulateur élégant et cruel, monstre froid non dénué de charme.
Le metteur en scène ne considère pas les comprimari comme des caricatures, au contraire de ce que l’on voit trop souvent. Le sbire Spoletta, par exemple, n’a que quelques phrases à dire, mais cette brévissime intervention permet de camper un personnage et de percevoir de vraies qualités d’acteur chez Camille Tresmontant. De même, l’athlétique Jean-Fernand Setti donne, en Angelotti, la mesure d’un tempérament vocal hors du commun.
Comme toujours à l’Opéra de Rouen Normandie, les chœurs (formidable ensemble Accentus !) et l’orchestre sont de premier ordre. Le chef norvégien Eivind Gullberg-Jensen sait animer le plateau, mais surtout aller au-delà du simple accompagnement de l’action, pour révéler tous les trésors de l’orchestration puccinienne.
Avec cette Tosca, coproduite avec Caen et Dijon, Rouen s’inscrit dans la longue et prestigieuse tradition d’une maison soucieuse de présenter des distributions de haut niveau et d’une musicalité sans faille.
JACQUES BONNAURE
PHOTO © ARNAUD BERTEREAU