Comptes rendus L’Étoile brille sur Tourcoing
Comptes rendus

L’Étoile brille sur Tourcoing

27/02/2020

Théâtre R. Devos, 9 février

Disons-le d’emblée : cette nouvelle production de L’Étoile est une réussite totale, rendant pleinement justice à un chef-d’œuvre dont on se demande toujours pourquoi il ne figure pas durablement au répertoire.

Fidèle à la didascalie (l’action se déroule dans une très vague « capitale des Trente-Six Royaumes »), Jean-Philippe Desrousseaux joue la carte d’un Orient fantasmé. Le décor s’inspire d’un tableau de Hermann Corrodi, Le Marchand de tapis, et les fort jolis costumes mêlent allègrement références au Maghreb, à la Perse, voire à l’Amérique du Sud, dessinant un ailleurs coloré dont n’est pas absente une certaine réalité coloniale, indissociable de cette vogue de l’orientalisme au XIXe siècle.

Toutes les ressources du rire sont explorées avec beaucoup d’inventivité et d’audace, grâce à la précision de la direction d’acteurs : comique de situation et de répétition, parodie, fantaisie verbale, sans oublier le registre grivois, qui n’est pas éludé. D’autant que nombreux sont les moments où la mise en scène, collant au plus près des ambiguïtés de l’œuvre, parvient à nous faire basculer en un instant du rire à l’émotion.

L’humour est donc traité avec un sérieux qui se retrouve dans la lecture, aussi précise qu’élégante et spirituelle, d’Alexis Kossenko. À la tête d’un ensemble La Grande Écurie et la Chambre du Roy en grande forme, aux sonorités chatoyantes, le flûtiste et chef français, fin connaisseur du répertoire baroque, mais aussi éminent mozartien, s’y entend à merveille pour exalter toutes les richesses de la partition d’Emmanuel Chabrier. Voilà qui augure très bien de sa collaboration avec La Grande Écurie et la Chambre du Roy, dont il a pris la direction musicale en janvier.

Autre point très important : le travail du texte bénéficie de la même démarche rigoureuse. Non seulement on ne perd pas un mot, mais un soin particulier a été apporté aux détails de prosodie ; et l’on jubile d’entendre enfin certaines liaisons, trop souvent omises, alors que, bien assumées, elles révèlent tout leur potentiel comique.

Protagoniste à part entière, le chœur (superbe Ensemble Vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing) brille par son implication musicale et scénique. Quant au plateau, il n’accuse aucune faille. Si l’on apprécie le Tapioca diligent et sonore de Denis Mignien, l’Aloès pleine d’esprit de Juliette Raffin-Gay, ainsi que l’émouvante Laoula d’Anara Khassenova, on remarque, plus encore, quatre chanteurs-acteurs de tout premier plan.

Même avec une voix qui a un peu perdu de son éclat, Nicolas Rivenq impose un Hérisson de Porc-Épic de grand relief, tandis qu’Alain Buet est un hilarant Siroco, en excellente voix. Formidable Ouf Ier de Carl Ghazarossian : son souverain capricieux, virevoltant et puérilement pervers, d’une aisance réjouissante, est le meilleur que nous ayons vu et entendu.

Ambroisine Bré, enfin, confirme, avec cet épatant Lazuli, tous les espoirs mis en elle quand nous l’avions remarquée en Cherubino dans Le nozze di Figaro, production du collectif de théâtres La Co[opéra]tive, en 2015. Parfaitement crédible physiquement et à l’aise dans cette tessiture ambiguë, la jeune mezzo française montre du panache dans son périlleux air d’entrée, puis beaucoup d’émotion dans la « Romance de l’étoile ».

Un spectacle dont on sort ravi, les rires dans la salle faisant vraiment plaisir à entendre, et que l’on espère voir tourner partout. Si l’on s’interrogeait sur l’avenir de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, après la brutale disparition de Jean-Claude Malgoire, en avril 2018, cette production de L’Étoile le montre en pleine forme artistique.

THIERRY GUYENNE

PHOTO © SIMON GOSSELIN

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