Comptes rendus Magnifique Don Quichotte à Saint-Étienne
Comptes rendus

Magnifique Don Quichotte à Saint-Étienne

11/02/2020

Grand Théâtre Massenet, 31 janvier

Dans son lit à baldaquin, ou dans quelque carrosse, Don Quichotte mourant se souvient. Veillé par Sancho, il revoit, comme de brefs éclats de lumière, les exploits et les espoirs de ce que fut sa destinée.

Attentive au pouvoir évocateur de la partition, la mise en scène de Louis Désiré – coproduction entre les Opéras de Saint-Étienne et de Tours – laisse apparaître un Chevalier christique, vêtu d’une longue tunique en étoffe rugueuse, et non d’une cuirasse. Tout en vulnérabilité. Les décors très sobres conçus par Diego Mendez Casariego (un sol âpre, des miroirs) opposent l’antagonisme du noir et du blanc, et les atours colorés revêtus par la Belle Dulcinée, dont la figure devient centrale, puisque nous la découvrons omniprésente au travers du rêve de Don Quichotte.

Quatre personnages muets, quasi statufiés, blancs comme l’albâtre, accompagnent les épisodes de la réminiscence, porteurs de branches figurant les forêts qu’a parcourues notre héros. Ils animent les ailes d’un moulin imaginaire par le tournoiement de leurs lances, et accompagnent la procession mortuaire.

Les atours de Dulcinée (robe moirée au I, robe de tulle pour la fête dans le patio au IV) lui sont présentés par ses soupirants, Pedro, Garcias, Rodriguez et Juan (habit noir, haut-de-forme). À chaque changement – de costume ou d’état d’âme –, ils déploient devant elle une étoffe blanche, la dissimulant au Chevalier qui peut continuer à rêver d’idéal.

Danseurs et comédiens semblent prêts à tous les revirements, comme s’ils attendaient d’être touchés par la grâce. Et c’est bien ce qui caractérise cette conception de la « comédie héroïque » : il n’y a pas de méchants, seulement des errements, des faiblesses propres à l’humanité. Les saisissantes lumières de Patrick Méeüs se jouent des oppositions et, tour à tour, suggèrent ou révèlent.

La direction d’acteurs permet à une distribution idéale de servir le théâtre. Lucie Roche, mezzo ductile dont la tessiture convient au grand ambitus de Dulcinée, vocalise à la perfection. Elle évite la facilité d’une coquetterie affichée et offre l’image de la lucidité, de la nostalgie devant le temps fugitif, d’une autorité dans la réprimande qu’elle adresse aux rieurs et d’une tendre compassion. Les affinités musicales avec Thaïs et Manon habitent son interprétation complexe.

Don Quichotte a les traits, la probité de Vincent Le Texier. Ses airs illustres sont moins des morceaux de bravoure que des souvenirs déjà estompés dans la continuité d’une vie rêvée. L’incarnation est davantage celle du « vagabond inondé de tendresse » que du redresseur de torts. Et la scène de la mort bouleverse.

Avec une simplicité appariée, Marc Barrard signe un très émouvant Sancho, à la diction parfaite. Sa grandeur lui vient de reconnaître celle de son maître dans l’apostrophe « Ça, vous commettez tous un acte épouvantable ». Elle lui vaut une ovation méritée.

Les commensaux, amants et soupirants de Dulcinée, participent avec art à l’œuvre d’isolement de la belle et se font ainsi les agents du drame, plus inquiétants que seulement pittoresques. Leurs voix, leur musicalité, répondent à la difficulté de l’écriture. Leur aisance scénique confond.

Préparé par Laurent Touche, le Chœur Lyrique témoigne de précision et de couleur. Jacques Lacombe, enfin, mène l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire à des sommets de délicatesse dans le Prélude du dernier acte, après avoir fait scintiller les plus riches nuances d’une orchestration subtile. Le violoncelle solo, puis le violon accompagnant la quête de l’étoile, ne se laisseront pas oublier.

On se réjouit fort de retrouver ce magnifique Don Quichotte, du 6 au 10 mars, à Tours, avec un chef et une distribution entièrement différents.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © CYRILLE CAUVET

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