Théâtre du Capitole, 2 février
Ses productions du diptyque Il prigioniero/Le Château de Barbe-Bleue (Théâtre du Capitole, 2015) et d’Orphée et Eurydice (Opéra-Comique, 2018) ayant été globalement appréciées, il n’y avait aucun inconvénient à confier à Aurélien Bory une troisième réalisation dans l’univers lyrique : Parsifal, par exemple. Sauf que le metteur en scène et scénographe français, apparemment en panne d’inspiration, s’est, cette fois, contenté d’un service minimum, confinant à l’inexistence.
Le décor, déjà, va s’amenuisant au fil des actes. Le I se résume aux mouvements ascendants, descendants, vers l’avant et vers l’arrière, d’une grille carrée, devant un rideau blanc semi-circulaire, servant occasionnellement à quelques projections (branches d’arbres, cygnes, silhouettes des personnages principaux…). Recouverte de rameaux feuillus, d’où émergent les têtes de Gurnemanz, des Écuyers et de Kundry (comme dans le Parsifal mis en scène par Romeo Castellucci, à Bruxelles), ladite grille sert ensuite de treille, sous laquelle Amfortas clame sa souffrance, avant de perdre ses rameaux pendant la « transformation ».
Au II, c’est devant un simple mur gris, posé au milieu du plateau, que Klingsor réveille Kundry, puis que celle-ci tente de séduire Parsifal. Au III, la scène est vide, plongée dans une obscurité presque totale, jusqu’à l’apparition de rampes d’ampoules blanches, qui nous valent l’unique belle image de la représentation, quand, sur les dernières mesures de l’opéra, elles se posent lentement sur le sol, telles des fleurs.
En l’absence d’accessoires autres qu’une poignée de plots noirs servant de sièges et de tubes fluorescents associés à la Sainte Lance (tout droit sortis d’un spectacle de Robert Wilson), on essaie de se consoler avec quelques beaux costumes. Certes pas les pantalons et tee-shirts anonymes des « chevaliers », ni le hideux poncho beige foncé dont Kundry est affublée, au I. Mais plutôt la longue robe du soir noire qui pare la magicienne, à la fin du II, ou le pantalon noir samouraï porté par un Parsifal chauve, au III, complété par une chemise blanche.
Pourquoi soudain un héros en guerrier japonais, alors qu’on l’avait vu jusqu’ici en jean, sweat et baskets blanches ? On l’ignore. On ne devinera pas davantage pourquoi les Filles-Fleurs sont métamorphosées en « Dames blanches », dissimulées sous un voile, façon Boieldieu. Comme si Aurélien Bory s’était contenté de juxtaposer quelques débuts d’idées, sans jamais les développer ni, surtout, offrir un prolongement visuel au texte et à la musique.
Aucun mystère, donc, dans cette réalisation s’apparentant souvent à un concert en costumes, faute d’une direction d’acteurs digne de ce nom. Les choristes semblent abandonnés à eux-mêmes (quel prosaïsme quand ils se faufilent sous le rideau pendant la « transformation » !), à l’instar des solistes, échoués sur un plot ou errant comme des âmes en peine sur le plateau.
Par chance, le Chœur et la Maîtrise du Capitole, renforcés par le Chœur de l’Opéra National Montpellier Occitanie, sont dans une forme somptueuse (bravo à leurs chefs respectifs, Alfonso Caiani et Noëlle Gény !). Et les chanteurs sont tous excellemment distribués, jusque dans les plus petits rôles (merci à Christophe Ghristi, directeur artistique de la maison !).
Peter Rose, Pierre-Yves Pruvot et Julien Véronèse sont ceux qui souffrent le plus de la vacuité de la mise en scène. Cela ne les empêche pas de très bien chanter – le premier, en particulier, extrêmement émouvant dans les interventions de Gurnemanz, au III.
Nikolai Schukoff a perdu en qualité de timbre depuis ses Parsifal à l’Opéra de Lyon, en 2012. Mais sa voix a gagné en projection et en puissance, notamment dans un aigu extraordinairement facile et percutant. Et puis, quelle présence et quel investissement dramatique !
Quant à Sophie Koch et Matthias Goerne, ils déploient un tel charisme vocal et scénique qu’on a l’impression d’être plongé dans un nouvel âge d’or du chant wagnérien. En débuts dans le rôle, la mezzo (soprano ?) française se joue des difficultés de Kundry avec une aisance fulgurante, d’un grave nourri – mais jamais appuyé – à un aigu tranchant comme une lame.
D’une élégance physique et d’une classe suprêmes dans le duo avec Parsifal, Sophie Koch veille à donner à chaque mot, à chaque inflexion, leur juste poids – preuve du travail admirable, mené en amont, par une artiste dont le professionnalisme et la probité artistique n’ont jamais été pris en défaut.
Enfin, dans le rôle d’Amfortas, Matthias Goerne éblouit par la splendeur d’un timbre de baryton-basse à la fois sombre et rayonnant, ainsi que par une incarnation d’une intensité et d’une force théâtrale sidérantes. Toutes les qualités du Liedersänger sont là, sans aucun maniérisme, ni sur-accentuation du texte. Du très, très, grand art !
Manquant un peu de profondeur dans le Prélude, Frank Beermann monte en puissance au fil des actes, avec une direction d’un lyrisme et d’une plénitude qui laissent l’auditeur béat dans son siège (quel finale du III !). Il dispose, il est vrai, d’un Orchestre National du Capitole au zénith, tour à tour flamboyant et envoûtant, avec notamment des cordes idéalement soyeuses et homogènes.
Osons l’écrire : pour ce qui est de Kundry, d’Amfortas et du chef, le Capitole évolue plusieurs coudées au-dessus de ce que Bayreuth propose dans Parsifal, depuis les adieux de Pierre Boulez, en 2005.
RICHARD MARTET
PHOTO © COSIMO MIRCO MAGLIOCCA