Comptes rendus Une semaine pour Mozart à Salzbourg
Comptes rendus

Une semaine pour Mozart à Salzbourg

05/02/2020

Litaniae Lauretanae – Messe en ut mineur

Stiftung Mozarteum, Grosser Saal, 30 janvier

Moins médiatisée que les Festivals de Pâques, de Pentecôte et d’été, la « Semaine Mozart » (« Mozartwoche ») de Salzbourg, organisée chaque année par le Mozarteum, autour de la date anniversaire de la naissance du compositeur (27 janvier 1756), n’en demeure pas moins une manifestation passionnante. Et puis, quel bonheur d’arpenter la ville sans les hordes de touristes qui y déferlent en juillet et en août !

Au côté de l’événement constitué par Le Messie de Haendel, confié à Robert Wilson et Marc Minkowski (voir plus loin), Rolando Villazon, directeur artistique de la « Semaine Mozart », a imaginé une programmation extrêmement variée, qui nous a permis d’assister à un électrisant concert, réunissant deux œuvres sacrées de Mozart : les Litaniae Lauretanae K. 195 (1774) et la célébrissime Messe en ut mineur K. 427 (1783), chef-d’œuvre absolu, donné ici dans la dernière édition critique d’Ulrich Leisinger (Bärenreiter, 2019).

Premier artisan du triomphe : La Cetra Barockorchester & Volkalensemble Basel, placé sous la baguette de son chef de chœur, Carlos Federico Sepulveda, remplaçant Andrea Marcon, actuel directeur de l’ensemble. On connaissait les formidables qualités instrumentales et vocales de La Cetra ; on ignorait tout, en revanche, de ce musicien d’origine colombienne, formé à Vienne, qui a maintenu une tension hallucinante au pupitre, dans une salle du Mozarteum convenant idéalement à cette musique.

Nerveuse, mais jamais précipitée, sensible, mais jamais languissante, solennelle, mais jamais empesée, la direction de Carlos Federico Sepulveda entraîne l’auditeur de sommet en sommet, transcendant même ce que l’écriture des Litaniae Lauretanae peut avoir de conventionnel, nonobstant le génie mozartien.

Le quatuor de solistes est homogène. Carolyn Sampson est la plus généreusement servie dans les deux œuvres au programme. Avec une voix d’une pureté inaltérée dans l’aigu, malgré quelque vingt années de carrière, et une probité musicale sans faille, la soprano britannique illumine comme il le faut le sublime Et incarnatus est de la Messe en ut mineur.

Aussi à l’aise dans la partie inférieure que supérieure du registre, Margriet Buchberger est l’exact soprano II réclamé par Mozart. Elle vocalise, de surcroît, avec une remarquable aisance, son duo avec Carolyn Sampson (Domine Deus) constituant l’un des climax de la soirée.

Christoph Prégardien n’est pas en reste, ténor plein de charme, au chant rayonnant et à la virtuosité également affirmée. Moins sollicité, José Antonio Lopez tient dignement sa partie.

Public en délire aux saluts. À juste titre !

Der Messias

Haus für Mozart, 31 janvier

Mettre en scène Le Messie de Haendel relève du défi, le livret de Charles Jennens, montage de textes bibliques, se caractérisant par son absence totale d’action. À Vienne, puis à Nancy, en 2009, Claus Guth avait brillamment tenu la gageure d’y greffer une « intrigue », pour en faire un vrai objet théâtral. À Salzbourg, pour cette coproduction entre la « Semaine Mozart », le Festival d’été et le Théâtre des Champs-Élysées, Robert Wilson a pris le parti exactement inverse.

Refusant tout autant la narration que l’illustration littérale, le metteur en scène américain propose un « accompagnement visuel » (nous ne voyons pas de terme plus approprié), à partir des images, pour ne pas dire des visions, que lui a inspirées l’écoute du texte et de la musique. Le résultat est d’une beauté visuelle à couper le souffle, mais d’une inertie dramatique qui, très vite, inhibe la perception émotionnelle du spectateur.

Le dispositif est plus « wilsonien » que jamais : espace délimité par trois hautes toiles blanches, barres de néons également blancs, perspectives tirées au cordeau, rares accessoires, personnages à la démarche hiératique et aux gestes figés comme dans le théâtre nô, fumigènes… sans oublier, bien sûr, les éclairages sublimement variés du maître d’œuvre, déclinant toute la gamme des gris et des bleus, du plus profond au plus opalescent.

Si nous devions retenir une image, ce serait, peut-être, le traitement du chœur « For unto us a Child is born » – ou plutôt « Uns ist zum Heil ein Kind geboren », l’ouvrage étant ici donné dans sa traduction allemande, utilisée à Vienne, le 6 mars 1789, pour sa première exécution dans l’orchestration « arrangée » par Mozart (Der Messias, K. 572).

Pendant que le chœur chante en fosse, sur fond de vagues écumantes projetées sur la toile, des troncs d’arbres, artistiquement dessinés et réalisés, descendent lentement des cintres pour former un assemblage savant, tandis qu’un danseur traverse le plateau vide. C’est vraiment superbe, avec ce sens de l’épure qui n’appartient qu’à Wilson, mais tellement distancié que l’admiration se teinte rapidement d’ennui.

Les quatre solistes tirent inégalement leur épingle d’un jeu on ne peut plus périlleux. Ainsi, Elena Tsallagova, sur le papier la plus prometteuse, devient complètement transparente, y compris sur le plan vocal, dans la blancheur immaculée dont Wilson la recouvre, de la tête aux pieds. On lui préfère Wiebke Lehmkuhl, alto chaleureux sans rien d’exceptionnel, que sa perruque rousse et son corsage vert émeraude arrachent à la froideur ambiante.

À 60 ans, Richard Croft n’a plus beaucoup de timbre, mais il demeure un excellent technicien et un fin musicien. Quelle idée, en revanche, de distribuer un baryton dans une  partie de basse ! Le jeune José Coca Loza fait ce qu’il peut, mais le grave reste obstinément aux abonnés absents.

Le meilleur vient du chœur (Philharmonia Chor Wien), préparé par Walter Zeh, et surtout de l’orchestre (Les Musiciens du Louvre), en état de grâce. Marc Minkowski a l’immense mérite d’épouser le rythme visuel du spectacle, quitte à perdre occasionnellement en force de persuasion. Sa direction, toute de sensibilité et de tendresse, est aussi capable d’éclat quand il faut, dans cet « arrangement » mozartien qui fait la part belle aux vents.

Pour lui seulement, et pour son orchestre, nous nous souviendrons de ce Messie prodigieusement chic mais jamais choc.

RICHARD MARTET

PHOTO © LUCIE JANSCH

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