Comptes rendus Marlis Petersen, Salome hors normes à Vienne
Comptes rendus

Marlis Petersen, Salome hors normes à Vienne

03/02/2020

Theater an der Wien, 28 janvier

Marlis Petersen occupe assurément une place de choix au sein du cercle restreint des artistes lyriques qui peuvent, mieux, savent tout faire. Cette Salome – sa deuxième, huit mois après la production de Krzysztof Warlikowski, à Munich, où elle avait été diversement appréciée – en apporte une nouvelle fois la preuve, de façon saisissante.

Car non seulement la soprano allemande joue et danse le rôle-titre avec une maîtrise supérieure – et une plastique de rêve, qui ne contredit jamais la jeunesse du personnage –, mais elle doit aussi manipuler une marionnette, aux mouvements de bouche parfaitement synchronisés avec les siens.

Svelte, ductile, jusqu’aux aigus de la scène finale, qu’une certaine tension fragilise, sans toutefois les faire rompre, le chant de Marlis Petersen ne succombe pas un instant – parce qu’il prend sa source dans les mots – au syndrome de la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf, ou à la vaine tentation de contrefaire le métal ardent ou la lave en fusion de devancières illustres.

À quoi bon en invoquer les mânes, alors même que, dans l’écrin intimiste du Theater an der Wien, cette Salome se confirme, par-delà la question bêtement technique de la réelle adéquation des moyens au rôle, singulière et absolument juste, en un mot captivante ? D’autant que Leo Hussain n’a pas, contrairement à Kirill Petrenko, à Munich, à contenir les effusions de l’orchestre, dont Eberhard Kloke, ainsi qu’il l’avait fait pour Wozzeck dans la même salle, a divisé peu ou prou l’effectif par deux, pour ne pas risquer de la couvrir.

Si pareille réduction a pour premier mérite de faire ressortir les soli, exécutés avec une infaillible virtuosité par les musiciens de l’ORF Radio-Symphonieorchester Wien, la sensation d’immersion dans cette partition jaillissante est renforcée par la direction du chef britannique, dont le sens théâtral l’emporte sur la science des alliages de timbres. Ainsi tendu vers sa conclusion, l’opéra se métamorphose presque en un monodrame, laissant dans l’ombre de la protagoniste des partenaires aux profils vocaux plus conformes à la tradition.

Le Narraboth de Martin Mitterrutzner accroche l’œil, mais pas l’oreille, à l’inverse du Page joliment prometteur de Tatiana Kuryatnikova. Michaela Schuster a beau trôner, telle une sphinge, au-dessus de la mêlée, son Herodias avait davantage d’impact à Munich.

Accoutré à la manière de feu Karl Lagerfeld, qui présentait, avec ses mitaines en cuir et ses hauts cols blancs, une allure autrement plus originale et décadente, John Daszak change de ces ténors sur le retour, dont l’écriture escarpée d’Herodes met à rude épreuve les lambeaux épars. Encore que la franche clarté de l’émission, à la limite souvent de la raideur, donne plus d’une fois l’impression que son tétrarque s’époumone.

Aussi granitique soit-il, et d’une épaisseur, d’une pesanteur même, qui tendent à influer sur l’intonation, Johan Reuter n’en manque pas moins d’aura en Jochanaan. Il est vrai que son costume et son maquillage, de la couleur, grise, des murs, visent à le faire disparaître, pour que le prophète ne soit que parole.

À aucun moment, la marionnette qui le représente, décharné, son corps « comme un sépulcre blanchi », ne s’anime, en contraste avec celle de Salome, buste à la longue chevelure d’une rousseur ondoyante, et aux grands yeux d’émeraude, d’une tristesse infinie. Elle est un masque, l’image que le regard avide des hommes projette, peut-être, et dont la princesse peu à peu se libère, en refusant d’être un objet de désir.

Pour le reste, Nikolaus Habjan ne pose pas, à travers sa mise en scène, un regard significativement neuf ou personnel sur la pièce, qui s’achève, sur fond d’immense pleine lune, dans la mare de sang où patauge l’héroïne, reflétée par ce plateau d’argent qu’est couvercle de la citerne. Mais peut-être gardera-t-on en mémoire, outre la performance de Marlis Petersen, l’habileté avec laquelle Julius Theodor Semmelmann use de la verticalité pour donner, entre bunker de béton et palais « Art déco », l’illusion d’un décor monumental.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © WERNER KMETITSCH

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