Comptes rendus Contes rescapés à la Bastille
Comptes rendus

Contes rescapés à la Bastille

31/01/2020

Opéra Bastille, 28 janvier

L’intérêt de cette reprise des Contes d’Hoffmann, dans la mise en scène bien connue de Robert Carsen (2000), réside dans l’exécution musicale et dans une nouveauté radicale : la réouverture de l’Opéra National de Paris, après cinquante-sept jours de fermeture. Un porte-parole vient lire le communiqué de l’intersyndicale ; devant la houle des huées, il disparaît, tandis que le communiqué continue de s’égrener par une voix invisible et par voie amplifiée.

Mark Elder, à l’instar de tant de chefs, se croit-il obligé de souligner qu’Offenbach est un grand compositeur ? Les grands compositeurs exigent-ils des tempi solennels et une pâte sonore compacte ? Le tempo pesant du Prologue le laisse craindre.

Avec la fameuse « Légende de Kleinzach », le tempo devient juste, mais c’est Hoffmann qui ne l’est pas. Doué d’une jolie voix de lirico, Michael Fabiano pourrait séduire par son timbre. Pourquoi faut-il que, dès le la, il élargisse au point de baisser d’un demi-ton ? La lourdeur du rôle expliquerait une fatigue à la fin de l’ouvrage, mais non dès l’entrée et dans chacun des airs successifs. Pour le duo avec Antonia, le ténor américain prend le parti de passer en falsetto et tout va mieux.

La distribution des autres rôles réussit à réveiller et maintenir l’intérêt. Les héroïnes aimées du poète sont confiées à des interprètes excellentes, ou exemplaires. Malgré les postures salaces auxquelles on la contraint, Jodie Devos délivre une prestation remarquable dans les « Couplets » d’Olympia. Homogène du grave au suraigu, la voix s’impose par-dessus ceux qui rient à gorge déployée. La diction ne laisse perdre aucun mot, le phrasé témoigne d’une maîtrise parfaite.

À la poignante nostalgie d’Antonia, Ailyn Pérez apporte son riche soprano lyrique, et la conviction qui emporte l’assentiment. Mais c’est Véronique Gens qui stupéfie par la justesse (dans tous les sens du terme), la grandeur de son interprétation. Avec celle qui vient de l’opéra classique et de Mozart, la Giulietta de ce soir n’est pas quelque banale courtisane, mais l’agent des forces négatives. Son allure, sa classe signent une incarnation.

Titulaire des rôles maléfiques, Laurent Naouri tire habilement son épingle du jeu, grâce à un sens du théâtre qui culmine dans l’acte dit « de Venise ». En revanche, l’évolution de sa voix de baryton rend davantage justice à Lindorf qu’à Dapertutto et à Miracle.

Dans la métamorphose de la Muse en très jeune Nicklausse, Gaëlle Arquez met toute sa fougue, servie par un mezzo richement timbré et un engagement scénique proche de l’omniprésence. On souhaiterait parfois mieux comprendre son propos, la disposition des lieux et le flot orchestral ne le permettant pas toujours.

Jean Teitgen domine le plateau en Luther, et bouleverse en Crespel, père éploré. Sa magnifique voix de basse noble atteint ici la dignité du « grand opéra ». Philippe Talbot se taille un franc succès avec les « Couplets » tant attendus de Frantz. Excellents, Rodolphe Briand, Jean-Luc Ballestra et, plus encore, Sylvie Brunet-Grupposo font honneur à l’ensemble qui, contre vents et marées, sait maintenir le cap.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/GUERGANA DAMIANOVA

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