Opernhaus, 26 décembre
Même si le nom de Christof Loy n’est pas de ceux qu’on associe spontanément à l’« opera buffa », son Don Pasquale est un coup de maître. Tranchant avec l’imagerie habituelle, mais sans chercher midi à quatorze heures, le metteur en scène allemand explore, au-delà du comique superficiel, ce que l’œuvre peut receler de tendresse et de nostalgie, et sa lecture douce-amère fait de la scène finale un véritable acmé.
Pendant la « Sérénade » d’Ernesto, Norina s’approche ainsi de Don Pasquale, l’embrasse avec un mélange de respect et d’affection, délaissant même un moment son bien-aimé revenu vers elle. Du coup, le départ du barbon se révèle aussi émouvant que celui de la Maréchale quittant Sophie et Octavian.
Avant cela, on aura pourtant beaucoup ri, mais sans une once de vulgarité. Johannes Leiacker signe un dispositif ingénieux de décors gigognes qui, au fil des scènes, montent ou descendent des cintres : un couloir étroit à l’avant, un jardin extérieur, l’intérieur pimpant de Norina et, surtout, le salon au papier peint ligné et austère de Don Pasquale.
La réussite de la soirée tient à la direction d’acteurs : hallucinante de précision, elle s’applique aux solistes aussi bien qu’à chaque membre des chœurs, voire aux trois serviteurs silencieux qui sont, tout à la fois, confidents et observateurs.
Le succès vient également de l’excellence du quatuor de chanteurs, dont aucun n’est -italien, ce qui n’est peut-être pas un hasard dans leur capacité à sortir des clichés habituellement associés à leurs personnages.
Le baryton allemand Johannes Martin Kränzle incarne son premier Don Pasquale : ni ventripotent, ni répugnant, mais un peu démodé dans son costume trois pièces fatigué, un peu ridicule dans sa façon compulsive de peigner les deux touffes de cheveux qui lui restent sur les tempes. Il réussit non seulement un incroyable numéro d’acteur, mais aussi une prestation vocale de premier plan, toujours soigneuse de la beauté de la ligne et se refusant à tout effet facile.
Le baryton russe Konstantin Shushakov incarne avec sobriété un Malatesta assez jeune, mais déjà expérimenté. Quant au ténor chinois Mingjie Lei, il prête ce qu’il faut de suavité délicieuse à son Ernesto.
Une fois de plus, la salle zurichoise s’avère le théâtre idéal pour une prise de rôle de Julie Fuchs, depuis longtemps attachée à la grande maison suisse. Norina mi-nymphomane, mi-mondaine, inénarrable dans son numéro de jeune fille prude et timide, la soprano -française est ici encore brillantissime, la voix constamment bien assise et bien projetée, à l’aise dans les passages virtuoses les plus exposés, mais capable aussi de tous les registres de l’expressivité.
Comme pour sa Fiorilla d’Il Turco in Italia, au printemps dernier, Julie Fuchs bénéficie, il est vrai, du soutien exemplaire du chef italien Enrique Mazzola, au dynamisme constant, mais qui sait se garder de toute vulgarité. Là où l’Opéra National de Paris peine à y trouver le ton juste, l’Opernhaus de Zurich enchaîne décidément, coup sur coup, les réussites dans le répertoire belcantiste.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS