Comptes rendus La Belle Hélène selon Michel Fau à Lausanne
Comptes rendus

La Belle Hélène selon Michel Fau à Lausanne

07/01/2020

Opéra, 22 décembre

De cette Belle Hélène – nouvelle coproduction entre l’Opéra de Lausanne, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège et l’Opéra-Comique, à Paris –, le spectateur sort hilare autant qu’intrigué. Car Michel Fau en donne une lecture à plusieurs entrées, multipliant les références et s’offrant le luxe de combiner trois époques : l’Antiquité, le Grand Siècle et le Second Empire, dans un tourbillon chronologique qui n’empêche nullement la vivacité et la fluidité du spectacle.

Ainsi du décor, qui reproduit une Grèce de pacotille naïvement peinte, soutenue par un éclairage imitant parfaitement celui à la bougie. Ainsi de Vénus, qui, s’offrant au jugement de Pâris, impose la silhouette dénudée et couronnée de fleurs de Nana au Théâtre des Variétés… où fut créée cette Belle Hélène, en 1864, et que Zola immortalisa.

Et puis, aussi, Ménélas, ici un Titus de boulevard, joué (excellemment) et chanté (moins excellemment) par Michel Fau lui-même : son costume d’or rappelle la puissance de Louis XIV, mais sa couronne cernée de fiers rayons du Soleil invoque la statue de la Liberté de Bartholdi, dont le modèle avoué fut le… colosse de Rhodes.

Aux habituelles citations musicales d’époque répondent, moins attendus, des vers d’Athalie (« Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ? »). De même, Julie Robard-Gendre a des allures, tragiques, oui, un peu trop tragiques, de Sarah Bernhardt entonnant Phèdre ; les troubles intentions d’Hélène n’en sont que plus évidentes. D’autres souvenirs picturaux se déploient, tel l’imposant portrait de Jupiter et Thétis d’Ingres (reproduit sans la mère d’Achille), qui domine un grand escalier de music-hall.

Non exempts d’un certain kitsch, ces incessants va-et-vient référentiels invitent le spectateur à revoir cette pièce, au-delà de sa drôlerie, pour ce qu’elle est : une manière de pastiche revisitant, esprit de dérision à la clef, une imposante culture classique pour en livrer une vision résolument décadente et dérisoire. Si souvent transposé à notre époque, Offenbach mérite qu’on lui imagine d’autres écrins ; celui ici tissé ouvre de nouvelles et réjouissantes perspectives.

Joyeuse et endiablée, la distribution s’inscrit parfaitement dans cette mise en scène, en imposant la fantaisie avec le sérieux qui convient. Oreste à la voix haut perchée, Paul Figuier campe un personnage fluet, ambivalent et veule, un premier de la classe à la recherche de son genre. Solide intervention du duo formé par Pier-Yves Têtu et Hoël Troadec, deux Ajax talentueux, au costume de super-héros loufoques, mettant en valeur leurs abondants thorax.

Christophe Lacassagne impose l’autorité d’Agamemnon, par la puissance et la projection, tandis que Jean-Francis Monvoisin incarne un excellent Achille, niais autant que viril. En revanche, Michel Fau n’a pas les qualités vocales que requiert Ménélas, même si le rôle peut être abondamment tourné en dérision (oui, il montre ses fesses) et chanté d’une voix de fausset. Il en est de même pour le Calchas bien fatigué de Jean-Claude Sarragosse.

Le couple divinement adultérin est de très belle tenue. Perruque blonde, presque peroxydée, tunique laineuse et, surtout, surtout, insolence ravageuse du séducteur impénitent, Julien Dran est un Pâris idéal, servi en outre par la clarté de sa diction et la qualité de ses aigus. Évohé !

Même plaisir à entendre Julie Robard-Gendre, Hélène tout droit venue de la tragédie classique, subissant avec accablement les coups bas de la fatalité, et dont le chant rayonne, par la chaleur et la couleur du timbre, une musicalité sans faille et un vibrato servant admirablement une grandiloquence qu’elle évite habilement de surjouer.

Dans la fosse, dirigeant le Sinfonietta de Lausanne, Pierre Dumoussaud offre une lecture vive et brillante de la partition, avec un évident sens théâtral.

Une belle réussite que cette production, qui ajoute l’excellence musicale à la finesse de sa mise en scène.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © ALAN HUMEROSE

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