Nationaltheater/ Staatsoper.tv, 30 novembre
Suite aux remaniements imposés par la crise sanitaire, il restait, fin novembre, quelques soirées libres dans la programmation du Bayerische Staatsoper, d’où cette Bohème improvisée au dernier moment.
Grand classique de la maison, la production d’Otto Schenk demeure très appréciée à Munich, en dépit de son demi-siècle d’âge ; et puis, avec Jonas Kaufmann annoncé en Rodolfo, inutile de préciser que les cinq cents places disponibles pour chaque représentation avaient été vite vendues. Mais c’était sans compter sur la fermeture totale qui a réduit ce projet à une captation vidéo, sans public, diffusée à la demande sur le site internet du théâtre, au tarif de quinze euros pour un accès de vingt-quatre heures.
Même un peu usée, la production demeure fonctionnelle, indémodable, avec toujours, pour point culminant, le café Momus, spectaculaire reconstitution d’un Paris de la « Belle Époque » débordant de vie. Or, le choc de retrouver ce deuxième acte complètement déserté n’en est que plus angoissant. À part les six jeunes gens, un garçon de café masqué, Parpignol, et un malheureux enfant rescapé, il n’y a plus personne !
Les figurants sont restés chez eux, les précautions sanitaires ont dispersé les choristes, et les caméras n’ont plus que les solistes et des chaises vides à filmer. Par ailleurs, c’est bien une Bohème normale à laquelle on assiste, dont le potentiel d’émotion, même à distance, est relativement intact.
Rachel Willis-Sorensen a beaucoup chanté avec Jonas Kaufmann, notamment au cours de la grande tournée européenne qui a coïncidé avec l’album Wien (Sony Classical), et les deux s’entendent très bien. Cela dit, la soprano américaine, dans une irradiante forme vocale et physique, n’est pas une Mimi tout à fait crédible.
Même dans le contexte défavorable d’un orchestre qui joue manifestement trop fort – Asher Fisch semble s’être laissé piéger par le dispositif surélevé sur lequel prennent actuellement place les musiciens au Nationaltheater, et qui nécessite de constamment brider le volume, en particulier du côté des cuivres –, la voix de Rachel Willis-Sorensen passe fièrement tous les obstacles.
La composition de Jonas Kaufmann est plus subtile, avec non moins d’aisance d’ailleurs. Aucune crispation dans le très attendu « Che gelida manina ! », et partout de somptueuses rechanges de couleur. Ce retour tardif du ténor allemand à un emploi de jeune premier convainc encore largement, en dépit d’une différence d’âge désormais patente avec le reste de la distribution.
Autour du couple vedette, on découvre d’intéressants nouveaux noms, comme Mirjam Mesak et Andrei Zhilikhovsky, très à l’aise en Musetta et Marcello. On a, également, la confirmation de talents déjà présents en troupe à Munich depuis plusieurs années, dont le parfait Colline de Tareq Nazmi.
Une Bohème de belle tenue, et qui, même à l’écran, peut ne pas laisser les yeux secs.
LAURENT BARTHEL