Maison de la Radio, Auditorium, 26 novembre
En prélude à une tournée européenne, Marc Minkowski et son orchestre Les Musiciens du Louvre ont fait escale à l’Auditorium de la Maison de la Radio, malgré la grève d’une partie du personnel de Radio France, pour un Ariodante mémorable.
L’on se souvient du concert de cette même œuvre au Théâtre de Poissy, en janvier 1997, un très grand moment de l’interprétation haendelienne, dont un enregistrement chez Archiv Produktion, d’ailleurs toujours en tête de la discographie, a heureusement préservé le souvenir.
On est heureux de constater que presque vingt-trois ans plus tard, la direction de Marc Minkowski n’a rien perdu de son acuité, ni même de sa singularité. L’ouvrage est donné in extenso, en rétablissant même un entracte après chaque acte, au lieu de l’unique – et absurde – pause au milieu du II, devenue partout la règle.
Dès les premières notes de l’Ouverture à la française, Minkowski saisit la partition à bras-le-corps, le geste ample et volontaire mais souple. Il donne à entendre un Haendel sanguin, maître d’un théâtre des passions fabuleux de variété et de subtilité, avec des Musiciens du Louvre en large effectif, dont la sonorité robuste nous change de tant de phalanges exsangues.
Comme ce soir béni de Poissy, le chef français et son orchestre sont les vrais rois du concert, sans que les chanteurs de la nouvelle équipe ne déméritent. On ne peut ainsi reprocher à Yuriy Mynenko de ne pas posséder l’instrument surnaturel et l’abattage insensé d’Ewa Podles. Car son Polinesso presque trop poli montre quand même un contre-ténor homogène et étendu, sinon toujours assez percutant dans le grave.
Grande voix de basse, James Platt tonne dans le Roi d’Écosse, mais touche peu et manque de précision dans ses coloratures. À l’inverse, le Lurcanio de Valerio Contaldo a la vocalise hardie, mais son ténor efficace s’accorde mal en timbre avec sa Dalinda.
On est heureux de réentendre ici le soprano léger, délicat et suavement fruité de Caroline Jestaedt, découverte lors du dernier Concours « Voix Nouvelles ». Notre seule réserve concernerait un recours un peu systématique – mais payant auprès du public – au suraigu dans les variations.
Aucune recherche d’effet, en revanche, chez Ana Maria Labin, Ginevra supérieure de tenue et de technique qui, sans être en reste côté charme ou virtuosité, atteint des sommets d’émotion à la fin du II. Et quel trille !
Mais c’est avant tout Marianne Crebassa, en débuts dans le rôle-titre, que l’on attendait. Plus page que guerrier, la mezzo française incarne un héros désarmant dans sa juvénilité un peu naïve, avec une silhouette dont la gracilité contraste singulièrement avec un instrument s’imposant par sa beauté opulente et sa puissance.
Qu’on n’attende pas d’elle, pourtant, l’Ariodante virtuose d’Anne Sofie von Otter. Dans les deux airs de bravoure, les vocalises de « Con l’ali di costanza » s’essoufflent parfois en cours de route et les la de « Dopo notte » trahissent quelques limites. Mais ces deux pages, chantées avec toute la chair du timbre – alors que la mezzo suédoise, par souci de précision, allégeait la texture – imposent leur élan irrésistible et jubilatoire, par la vertu d’un accompagnement toujours relancé.
Une magnifique soirée haendelienne, qui nous fait regretter que la grève n’en ait pas permis l’enregistrement, et aussi que Marc Minkowski ne revienne pas plus souvent à un compositeur qu’il sert décidément comme personne.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE BORDEAUX