Nationaltheater, 18 novembre
Il est très inhabituel que le Bayerische Staatsoper, lorsqu’il affiche une « nouvelle production », préfère louer ailleurs un spectacle déjà existant…
En l’occurrence, on comprend ce qui a pu attirer l’attention sur ce tout premier travail de Simon Stone à l’opéra, pour le Théâtre de Bâle, en octobre 2016 (voir O. M. n° 123 p. 36 de décembre) : une brillante direction d’acteurs, tout à fait compatible avec le potentiel de la distribution réunie à Munich. Au rideau final de cette soirée de première, c’est une véritable « standing ovation » spontanée qui a accueilli toute l’équipe scénique, unanimité rarissime, à la mesure d’une performance effectivement exceptionnelle.
À quelques détails près, Simon Stone en est resté aux mêmes gestes marquants qu’il y a trois ans, mais évidemment d’une précision et d’une tension encore plus étonnantes, quand ils sont obtenus de titulaires d’envergure internationale qui pourraient, a priori, se révéler moins réceptifs et disponibles que des chanteurs de troupe.
Ainsi, le couple Marlis Petersen/Jonas Kaufmann fonctionne avec une intensité digne des meilleurs films d’Alfred Hitchcock : elle, impressionnante femme fatale, capable des plus ardents déchaînements ; lui, paumé pathétique à la sensibilité d’écorché vif, aux yeux vraiment embués de larmes à l’issue du célèbre « Glück, das mir verblieb », ce qui lui réveille d’ailleurs un petit chat dans la gorge, vite rattrapé.
Car globalement, et c’est un véritable exploit, les voix suivent. Pour son tout premier Paul, Jonas Kaufmann chante sans prudence excessive, en évitant d’assombrir ce beau timbre qu’il a trop souvent tendance à couvrir d’habitude, et assume les exigences d’endurance du rôle avec une réelle élégance.
Chez la Marietta/Marie de Marlis Petersen, on craint d’abord une relative timidité, mais ensuite l’instrument s’épanouit, avec un vrai travail dans la chair vocale du personnage. Le gabarit n’y sera jamais tout à fait, mais l’actrice est d’une telle aisance qu’on l’oublie facilement.
Bonne crédibilité physique pour le Frank d’Andrzej Filonczyk, lequel doit interpréter aussi l’air de Fritz, « Mein Sehnen, mein Wähnen », qui laisse, pour sa part, un peu sur sa faim, faute de davantage de langueur et de charme. C’est également le problème de tous les seconds rôles, groupe très agité, tellement occupé à réaliser les acrobaties requises par la mise en scène que le chant n’y retrouve pas toujours son compte.
L’œil, en revanche, oui, grâce à la conduite implacable de cette histoire entre réalité et cauchemar, dans un décor d’appartement moderne et fonctionnel qui, progressivement, se désagrège, voire tourne au fouillis dépravé, avant de retrouver son état initial. Aucune évocation visuelle de la ville de Bruges, ni de référence à un surréalisme d’un autre siècle : esthétiquement, le déficit reste à déplorer, mais il y a de vraies compensations.
Parvenu bientôt à la fin de son mandat de directeur musical à Munich, Kirill Petrenko dirige avec son perfectionnisme habituel. Une analyse qui fait ressortir comme jamais toutes les influences dont le jeune Korngold s’est imprégné (Wagner, Puccini, Lehar…), mais aussi un envoûtant travail de magicien de l’orchestre, science des timbres et du rendu des textures d’un hédonisme irrésistible.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © WILFRIED HÖSL