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Comptes rendus

La dernière création de Pascal Dusapin à Bruxelles

11/10/2019

La Monnaie, 5 octobre

Quatre ans après Penthesilea, Pascal Dusapin (né en 1955) revient à la Monnaie de Bruxelles pour une nouvelle création mondiale – en coproduction avec l’Opéra-Comique (Paris) et l’Opéra de Rouen Normandie – qui explore, elle aussi, les régions sombres de l’âme humaine. Il s’agit, cette fois, d’une adaptation du Macbeth de Shakespeare, mais le terme d’adaptation n’est pas exact, tant l’œuvre s’apparente davantage à une exégèse, à un exercice autour du drame.

Dans le programme de salle, le compositeur français explique : « J’ai lu et relu cette pièce dont on ne dit pas le nom, toutes les traductions (…), j’ai vu tous les films (…), j’ai lu ce qui s’écrivait dessus, dessous aussi (c’est plein de souterrains, de sous-bois, c’est toujours obscur, on n’y voit rien), j’étais épuisé par ce texte, envahi, perdu. » Et, ne sachant plus comment s’y prendre, il a demandé à l’écrivain et traducteur Frédéric Boyer de lui fabriquer un livret.

Celui-ci lui a écrit un texte en huit scènes et un Prologue, qu’il qualifie de « digression noire et enchantée de l’œuvre et de son mythe ». Il s’ouvre sur le Prologue parlé, au cours duquel Hécate, la déesse de la Nuit et de la Mort, convoque le souvenir du couple maudit. Puis apparaît un enfant, qui peut être celui que Lady Macbeth a perdu (dans la pièce, seuls quelques vers indiquent qu’elle a connu la maternité).

Quoi qu’il en soit, l’Enfant va devenir la pierre angulaire de la dramaturgie de l’œuvre, l’image de la culpabilité qui dévore le couple criminel. Et c’est lui qui réapparaîtra à la fin, au moment de la « forêt qui marche », pour défier son père de se battre avec lui – ce que Macbeth refusera de faire.

En fait, lorsque le rideau se lève et que Hécate, en costume élisabéthain, apparaît, tous les personnages sont déjà morts et errent dans les sous-sols de la terre, les Enfers, d’où le titre Macbeth Underworld. C’est parce qu’ils ne peuvent pas trouver le repos qu’on les incite à rejouer, une fois encore, les crimes qu’ils ont commis. En ce sens, ils sont comme des personnages beckettiens, obligés malgré eux à continuer et à éternellement recommencer, alors tout est déjà joué et que l’issue est connue. Leur destin est absurde, mais ils n’ont pas le choix et se doivent de reprendre, vieux comédiens fatigués.

Dans son livret, Frédéric Boyer joue de ce « théâtre dans le théâtre », de cette « mise en abyme » de la situation. D’ailleurs, il ne se contente pas du texte shakespearien, mais lui adjoint des paroles bibliques, tout autant que des citations de Lewis Carroll ou des vers du poète américain E.E. Cummings.

Sur ce palimpseste brillant, Pascal Dusapin livre une partition éblouissante. Son style est un non-style, tant il refuse tous les dogmes et toutes les époques pour ne se fier qu’à sa propre liberté créatrice. Encore une fois, il « colle » au texte, fait en sorte que ce soit lui le vecteur de sa composition et prend un évident plaisir à se jouer de la prosodie de la langue – ici, l’anglais.

Sur le plan de l’écriture vocale, Pascal Dusapin va jusqu’à laisser l’initiative aux chanteurs, en écrivant parfois une note longue avec un texte de plusieurs mots, mais sans rythme précis, ce qui les oblige à imprimer leur propre tempo. Enfin, il n’hésite pas à introduire des instruments qui créent une rupture et une atmosphère particulière au sein de l’opéra même, comme ici l’archiluth, que l’on utilise très rarement dans l’orchestre contemporain.

Comment se fait-il alors qu’on n’adhère pas complètement au propos, qu’on reste un peu en dehors ? Sans doute parce que l’œuvre elle-même, avec son jeu sur les différents registres, introduit une distance que l’on ne ressentait pas dans Penthesilea. Mais sans doute aussi parce que la mise en scène de Thomas Jolly, pourtant associé rapidement au projet, en rajoute dans l’outrance et crée un univers qui frôle la parodie.

Dès qu’on entre dans la salle, le rideau est levé, et l’on voit de noueux troncs d’arbres qui frémissent dans la brume. Puis les troncs bougent et font apparaître un lieu délabré, qui doit être le château de Macbeth. Les effets sont efficaces, la direction d’acteurs est enlevée, mais l’ensemble garde un côté film de zombies de série B, qui fait qu’on a un peu de mal à le prendre au sérieux.

La distribution, emportée par le Macbeth de Georg Nigl et la Lady de Magdalena Kozena, pour qui Pascal Dusapin a écrit des pages d’une grande douceur, sert parfaitement l’ouvrage. Impeccable direction musicale d’Alain Altinoglu, qui déjoue tous les pièges de la partition.

PATRICK SCEMAMA

PHOTO © MATTHIAS BAUS

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