Comptes rendus Butterfly poignante à Montpellier
Comptes rendus

Butterfly poignante à Montpellier

08/10/2019

Opéra Berlioz, 2 octobre

Décidément, les sopranos coréennes investissent le rôle de Cio-Cio-San avec bonheur. Nous avions beaucoup aimé Sunyoung Seo à Nancy, en juin dernier (voir O. M. n° 153 p. 63 de septembre 2019). À Montpellier, nous avons apprécié Karah Son.

Celle-ci paraît d’abord moins performante que sa compatriote : un registre moins étendu, de petits vibratos qui disparaissent peu à peu, une projection vocale moins intense, due peut-être au vaste espace de l’Opéra Berlioz. « Un bel di vedremo » est chanté proprement, mais il y manque un brin d’émotion. Pour autant, sa silhouette fragile nous donne l’illusion d’une jeune fille de 15 ans, comme le précise le livret.

Puis, Karah Son prend la mesure de la détresse de son personnage, multiplie les accents émouvants, force le ton sans excès et démontre alors qu’elle dispose d’aigus solides et de belles couleurs dans le médium… Cela lui permet de faire chavirer la salle dans ses derniers instants.

Il faut préciser que, dès le début, Karah Son est confrontée à un ténor de haute taille et à la voix puissante. Jonathan Tetelman sait jouer de ces atouts mais en abuse quelque peu, se campant bras écartés, à chaque forte trompettant, dans des attitudes que l’on croyait révolues. Certes, il s’essaie à davantage de retenue au III, mais son Pinkerton n’en reste pas moins chanté comme Canio dans Pagliacci – ce qui semble plaire au public.

À cette Amérique dominatrice et sans scrupule, répond heureusement celle, humaniste et compatissante, incarnée par le Sharpless de grand style d’Armando Noguera. Impeccable tenue vocale, souplesse des lignes, couleurs mordorées et parfaite implication dramatique, il séduit de bout en bout.

Satisfaction aussi avec la Suzuki de Fleur Barron, toujours à sa juste place, avec une chaleur ocrée dans le grave qui se marie bien avec la voix de Karah Son dans un magnifique duo « des fleurs ». À l’exception du Goro souvent inaudible de Sahy Ratia, les comprimari sont de qualité.

Le véritable héros puccinien est cependant dans la fosse. Matteo Beltrami installe une ambiance dramatique d’une grande force, qui nous fait passer d’une poésie orientale joliment dessinée à des tutti tragiques et véhéments, tout en dévoilant les contre-chants, les détails signifiants et les cellules mélodiques répétées qu’accumule le compositeur. Le chef italien obtient des sonorités épanouies d’un Orchestre National Montpellier Occitanie en état de grâce, avec des bois voluptueux et des cuivres acérés. Et le chœur maison est tout aussi impressionnant.

Dans sa mise en scène, venue de Zurich, l’Américain Ted Huffman imagine une grande boîte blanche symbolisant l’univers nippon, qu’occupent des meubles occidentaux bourgeois de la fin du XIXe siècle. Le panneau de fond est déplacé régulièrement pour dévoiler, de chaque côté, d’immenses portes ouvrant sur les ténèbres. La direction d’acteurs, soignée et précise, épouse bien les didascalies de l’œuvre, avec une justesse psychologique qui débouche sur une émotion bouleversante, quand le drame se conclut radicalement par le suicide de l’héroïne.

L’opposition entre le Japon et les États-Unis est parfaitement illustrée par les costumes, bariolés ou austères, d’Annemarie Woods. Au II et au III, Cio-Cio-San revêt ainsi une robe de dame bostonienne du plus bel effet.

Ce spectacle poignant obtient un triomphe. Malgré nos petites réserves, il est loin d’être immérité.

JEAN-LUC MACIA

PHOTO : Karah Son et Armando Noguera. © MARC GINOT

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