Opéra Bastille, 25 septembre
Ce n’est certes pas pour la production de Laurent Pelly que nous voulions assister à cette reprise d’I puritani, à l’Opéra Bastille : créée en 2013, elle demeure l’une des moins réussies du metteur en scène français et de son équipe, entre décor trop vide, costumes anonymes et paresse de la direction d’acteurs (voir O. M. n° 91 p. 53 de janvier 2014).
Pour le chef, alors ? Nous aimons beaucoup Riccardo Frizza, surtout depuis sa récente Traviata au Festival « Castell de Peralada » (voir O. M. n° 154 p. 53 d’octobre 2019). Son approche de l’ultime chef-d’œuvre de Bellini ne manque pas d’atouts, à commencer par une énergie qui évite à la musique de faire du surplace, comme c’est le cas avec nombre de ses confrères. L’orchestre, en lui-même excellent, tend malheureusement à jouer trop fort, piège que Michele Mariotti avait admirablement contourné, en 2013.
Non, c’est avant tout pour sa distribution, entièrement renouvelée, que nous tenions à revoir ce spectacle et, sur ce plan, nous n’avons pas été déçu, même si nous attendions davantage d’Igor Golovatenko en Riccardo, après son impressionnant Severo dans Poliuto de Donizetti, à Glyndebourne, en 2015. À l’instar de Mariusz Kwiecien, il y a six ans, le baryton russe, comme effrayé par le vide du décor et les dimensions de la salle, a tendance à donner trop de volume, au risque de compromettre qualité du timbre et élégance du phrasé.
Nicolas Testé, en revanche, se montre un Giorgio encore plus remarquable qu’à Madrid, en 2016 (voir O. M. n° 120 p. 62 de septembre). La voix, d’un grain superbe, est exactement celle exigée par le rôle (une basse chantante à l’aigu facile), avec un mélange d’autorité, de noblesse et d’émotion qui fait de « Cinta di fiori » l’un des climax de la soirée.
Que dire de l’Arturo de Javier Camarena que nous n’ayons déjà écrit ? Le ténor mexicain nous avait ébloui à Madrid, il y a trois ans. Nous l’avons retrouvé à l’identique à Paris : phrasé charmeur, diction expressive, dosage idéal entre tendresse et héroïsme, suraigu éclatant… Dès qu’il ouvre la bouche, on chavire !
Une fois signalée la qualité des chœurs, bien préparés par José Luis Basso (les comprimari sont moins marquants), reste à évoquer les débuts d’Elsa Dreisig en Elvira. Ce que nous avons entendu est admirable : timbre charnu, émission raffinée, suraigu libre et puissant, vocalises enchaînées avec goût et fluidité. On sent que la jeune soprano franco-danoise a effectué un gros travail en amont et cela suffit à faire oublier quelques aigus trop bas, d’autant que la comédienne est aussi lumineuse qu’habile.
Ceci posé, était-il judicieux de relever pareil défi dans pareil contexte ? N’aurait-il pas mieux valu se familiariser avec le rôle dans un théâtre plus petit et à l’écart du circuit international ? Il suffit, en effet, que Javier Camarena entre en scène pour que ressortent les mille petits détails devant encore être peaufinés. Confrontée à un ténor pour lequel Rossini, Bellini et Donizetti n’ont plus aucun secret depuis longtemps, la débutante paraît en phase de rodage. En fin de phase, certes, mais en rodage tout de même.
Elsa Dreisig accomplira-t-elle les 10 % du chemin qu’il lui reste à parcourir pour devenir une Elvira d’exception ? Elle est la seule à pouvoir répondre à cette question. En l’état, sa prise de rôle est avant tout une confirmation, celle de l’un des talents les plus explosifs de la génération des moins de 30 ans.
RICHARD MARTET
Dernière représentation le 5 octobre.
PHOTO : Elsa Dreisig et Nicolas Testé. © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/SÉBASTIEN MATHÉ