Palais Garnier, 12 septembre
Après de longs séjours à l’Opéra Bastille, Violetta Valéry regagne le Palais Garnier – ne nous en plaignons pas, le lieu convient mieux à l’intimité du drame. Aucune surprise : c’est une Violetta d’aujourd’hui, imaginée par un metteur en scène d’aujourd’hui.
Faut-il sourire des facilités que la mise en scène de Simon Stone brasse hardiment : la jeune femme, vedette des réseaux sociaux et vendant son image à l’instar de l’inénarrable Kim Kardashian ; le duo d’amour du premier acte dans la cour d’une discothèque à la mode, au milieu des poubelles ; Alfredo étudiant les plans d’un appartement (et espérant peut-être un appel de Stéphane Plaza), tout en échangeant avec sa belle des SMS d’une gentille niaiserie ; la belle en question se retrouvant place des Pyramides, près de la statue de Jeanne d’Arc, au pied de laquelle un SDF de couleur est en train de s’enivrer (une double cause de crise cardiaque pour les fidèles du Rassemblement National) et finissant sa soirée en commandant un kebab (que faut-il en conclure sur ses goûts culinaires ?) ?
La retraite campagnarde du deuxième acte est évoquée par Alfredo foulant du raisin et Violetta trayant une vache (une descendante de la fameuse Marguerite, chère à Fernandel ?). Quant à Germont père, il craint que la liaison de son fils ne fasse rater le mariage de sa fille avec un prince saoudien. La réception chez Flora est digne d’une boîte à partouze. Et la chimio que subit la belle à l’hôpital (elle meurt ici d’un cancer, et non plus de tuberculose) sent le déjà-vu.
Tout cela, mis sur le papier, n’est guère encourageant. Il en va autrement lorsqu’on est dans la salle. D’abord, parce que le spectacle est parfaitement réalisé : le décor tournant lui donne rythme et unité, la vidéo est utilisée à bon escient, juste avant qu’elle ne devienne encombrante ; on ne peut nier, toutefois, que les nombreux SMS détournent l’attention de la musique. Ensuite, parce que la conception de Simon Stone est cohérente et glaçante, qui montre à quel point la société actuelle est superficielle et déshumanisée.
Est-ce là ce que disent Verdi et son librettiste Piave ? On peut en douter, et le drame personnel vécu par Violetta semble vite évacué dans un monde considérant l’ensemble des êtres humains comme des produits de consommation jetables, de même que ses rapports à l’argent et à la société – aujourd’hui encore, malgré les années, la vision de La traviata par Jorge Lavelli demeure la plus profonde. Mais Simon Stone s’adresse au public d’aujourd’hui et il l’est des rares à avoir su le faire, même si l’on peut ne pas être d’accord avec lui.
Saluée, au rideau final, par une standing ovation, Pretty Yende est sidérante d’engagement, de sensibilité, allant jusqu’au bout d’un rôle dont elle n’a pas les moyens exacts, sans que l’on sente jamais la performance. La voix n’est pas très grande, la vocalisation pas toujours très précise, mais le timbre est ravissant et l’art des nuances subtilement maîtrisé. La plus belle idée de la soirée arrive dans les dernières minutes : Violetta, transfigurée, sort de l’ombre pour entrer dans la lumière ; et là, enfin, on est ému !
Ludovic Tézier est un Giorgio Germont monolithique mais au chant impérial, qui fait de la scène avec l’héroïne à l’acte II un moment électrisant. Benjamin Bernheim n’a aucun mal à camper un Alfredo juvénile et séduisant ; le comédien est parfois gauche, mais le chanteur est impeccable, même si l’on aimerait des aigus plus libres et plus souples.
La qualité des seconds rôles est un atout, que ce soit Catherine Trottmann, Flora délurée, Marion Lebègue, sobre et émouvante Annina, Julien Dran ou Christian Helmer.
Michele Mariotti dirige Verdi avec une simplicité et une élégance qui sont la marque d’une grande classe. Son discours est alerte mais jamais précipité, ses phrasés conduits avec goût, et il obtient d’un orchestre de l’Opéra en pleine forme des couleurs aussi brillantes que subtiles.
Le public a réservé aux interprètes de cette première un accueil triomphal, quelques-uns ont hué Simon Stone pour un travail qui ne méritait ni excès d’honneur ni indignité, mais dont on se demande comment il vieillira.
MICHEL PAROUTY
Représentations les 21, 24, 26, 28 septembre, 1er, 4, 6, 9, 12, 16 octobre.