Esglesia del Carme, 17 août
Si elle ne l’a jamais rencontrée, elle la place très haut dans son Panthéon personnel. L’hommage que Sondra Radvanovsky a rendu à Montserrat Caballé (1933-2018), pour clore l’édition 2019 du Festival « Castell de Peralada », l’a largement prouvé. Pour montrer son admiration, mais aussi l’étendue de ses capacités, la soprano américano-canadienne n’a pas opté pour la facilité, associant arie antiche, mélodies et airs d’opéra, marqués en leur temps par la diva espagnole.
S’adressant au public avec le plus grand naturel, pour expliquer ses choix et les circonstances dans lesquelles elle a abordé certaines œuvres, Sondra Radvanovsky s’est d’abord illustrée dans une sélection de pages de Caccini, Alessandro Scarlatti, Gluck et Durante, idéales pour mettre en valeur la brillance de sa voix, l’éventail de son expression et la vitalité de ses registres. Plus que dans le frétillant « Danza, danza, fanciulla gentile » de Durante, c’est dans le dramatique « Sento nel core » de Scarlatti et le mélancolique « O del mio dolce ardor » de Gluck que la soprano a fait la plus forte impression, les tempi et la présence du fidèle accompagnateur Anthony Manoli lui arrachant de subtiles nuances.
Souffle interminable, filati uniques, legato de haute école ont évidemment leur place dans les mélodies de Rossini et de Bellini, ainsi que dans l’air « Non so le tetre immagini », extrait d’Il corsaro de Verdi – un sommet de l’art de la Caballé, selon Sondra Radvanovsky, qu’elle a su également hisser au plus haut, s’appuyant sur un phrasé, des trilles et une ligne de chant proprement inouïs. Renversante, aussi, l’entrée d’Elisabetta dans Roberto Devereux de Donizetti : « L’amor suo mi fe’ beata », cheval de bataille des deux cantatrices, est interprété ici de manière superlative.
Enfin, le temps est venu pour Sondra Radvanovsky de passer aux choses sérieuses. D’abord avec un exceptionnel « Sola, perduta, abbandonata », extrait de Manon Lescaut de Puccini, déchirant et pathétique, chaque phrase, chaque note traduisant la fatigue, la soif et la peur de mourir. Contrainte de reprendre les premières strophes du « Somnambulisme » de Lady Macbeth, en raison d’une manifestation asthmatique, la soprano a glorieusement exécuté cette scène culte d’une voix longue, vibrante et volontairement comateuse, conclue par un électrisant ré bémol piano.
Généreuse, enthousiaste, ne sachant comment s’excuser et faire oublier ce petit incident, Sondra Radvanovsky a offert au public cinq bis époustouflants : Adriana Lecouvreur (un « Ecco : respiro appena » techniquement superlatif), Norma (un « Casta diva » d’une beauté à couper le souffle), Tosca (un incandescent « Vissi d’arte »), puis La Wally (un « Ebben ? Ne andro lontana » à faire trembler les murs de l’Esglesia del Carme).
Ce merveilleux moment de musique a pris fin avec un très tendre hommage à Judy Garland et à son hymne, Somewhere Over the Rainbow, magnifiquement planant.
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO © JOAN CASTRO/ICONNA