Opera House, 6 juillet
Quatorze ans après de mémorables débuts à Glyndebourne en Cleopatra, dans l’inoubliable Giulio Cesare dirigé par William Christie et réalisé par David Mc Vicar (en DVD chez Opus Arte), Danielle de Niese n’est plus, comme à l’époque, une star médiatique – Decca en avait fait alors une de ses étoiles.
La voix de la soprano australo-américaine a gagné en densité et en moelleux ; elle est passée du baroque au XIXe et, si elle fait désormais partie des têtes pensantes du prestigieux Festival (elle est l’épouse de Gus Christie, petit-fils du fondateur John Christie et actuel maître des lieux), sa situation n’est pas pour autant facile. Elle doit, surtout ici, prouver qu’elle a réellement les moyens des rôles qu’elle aborde, si elle ne veut pas qu’on l’accuse de profiter de sa situation pour s’arroger ce qu’elle ne mériterait pas.
À cet égard, sa Cendrillon de Massenet est un sans-faute. Non seulement Danielle de Niese a gardé ce qu’il faut de fraîcheur physique pour s’identifier à l’infortunée héroïne, mais elle offre des aigus lumineux, un grave solide et des phrasés élégants, même si l’articulation de son français chanté reste perfectible.
Créée par le « Glyndebourne Touring Opera », en 2018, la mise en scène de Fiona Shaw arrive au « grand » Festival, après avoir été quelque peu retravaillée dans le sens d’une plus grande clarté. Connue du public international par ses rôles au cinéma (et notamment celui de Petunia Dursley dans la saga Harry Potter), Fiona Shaw est une vraie femme de théâtre, en recherche de sens, sans pour autant verser dans la provocation. Son travail peut donc se savourer au premier degré, avec ce qu’il faut de magie, d’humour, de rêve et de poésie.
Mais il est possible d’en faire une lecture plus engagée. En effet, Kate Lindsey incarne ici non seulement le Prince Charmant, mais aussi une femme de chambre silencieuse, qui suit Cendrillon partout dans la maison et partage ses peines. Histoire de rappeler que ceux dont on rêve peuvent être tout proches de nous, mais également d’interroger de façon discrète la question du genre.
Dans cette lecture gentiment actualisée, s’opposent encore le monde vulgaire de l’argent facile, symbolisé par Madame de la Haltière et ses deux horribles filles, et l’univers poétique de Cendrillon et du Prince, entre jeux de miroirs (on croit presque déceler une référence à la fameuse scène du film d’Orson Welles, La Dame de Shanghai), papillons et esprits facétieux.
La prestation de la mezzo américaine Kate Lindsey est remarquable, tant par son aptitude à se couler dans ses deux personnages que par la projection d’une voix idéalement androgyne. Digne d’éloges également, le baryton belge Lionel Lhote : à la fois lâche et attendrissant, son Pandolfe, qui pêche à la ligne au milieu du salon ou promène une improbable épuisette à crevettes, a les atouts d’une diction idéale et d’une intonation parfaite.
On aime aussi la Fée de la soprano arménienne Nina Minasyan, capable de ne pas réduire son rôle à un simple numéro de virtuosité, mais néanmoins apte à toutes les audaces, même si quelques imprécisions trahissent une légère fatigue au troisième acte. On sera plus réservé sur la mezzo polonaise Agnes Zwierko, Madame de la Haltière trop uniment dans la caricature et affligée d’un encombrant vibrato.
La plus belle surprise vient de la fosse : John Wilson, chef britannique que l’on croyait cantonné dans le jazz et la comédie musicale, avec son John Wilson Orchestra, livre, à la tête du toujours excellent London Philharmonic, une direction raffinée et riche en contrastes, capable tout autant de caractériser avec élégance chacune des danses du bal que d’exprimer l’intensité du sentiment amoureux.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © RICHARD HUBERT SMITH