Comptes rendus Offenbach étourdissant à Salzbourg
Comptes rendus

Offenbach étourdissant à Salzbourg

29/08/2019

Haus für Mozart, 21 août

Barrie Kosky, fort déjà de deux Offenbach au Komische Oper de Berlin, n’a rien rogné de son irrespectueuse inventivité et propose, en coproduction avec son propre théâtre, un spectacle d’une verve étourdissante. Pour cela, il a élaboré une version « hybride » d’Orphée aux Enfers, en mélangeant les éditions de 1858 (« opéra-bouffe » en deux actes) et de 1874 (« opéra-féerie » en quatre actes).

Dans un cadre Second Empire ravissant, pas de transposition, ni d’insertion de connotations politiques ou sociales, mais un beau décor distancié, avec une profusion de costumes chatoyants. Une trouvaille étonnante d’abord, et qui fait mouche : le dialogue, en allemand – et sonorisé raisonnablement –, dit entièrement par un comédien, tandis que les chanteurs le miment, dans une synchronisation dont la perfection laisse pantois.

Prodigieux Max Hopp (acteur célèbre de la Volksbühne de Berlin, qui a plusieurs fois déjà travaillé avec Barrie Kosky), à juste titre ovationné par la salle : variant sans cesse la tessiture, souvent à contre-pied du personnage qui s’exprime, pour des effets irrésistibles venus du cinéma burlesque (la soprano parlant d’une voix caverneuse…), ajoutant aussi de nombreux bruits de scène et onomatopées, s’intégrant lui-même à l’action en John Styx et se payant le luxe de chanter, très honorablement, les « Couplets du roi de Béotie » ! Le tout sur un rythme trépidant, qui est celui de toute la production.

Max Hopp trouve son répondant parfait dans une Eurydice ébouriffante : la soprano américaine Kathryn Lewek, par ailleurs Reine de la Nuit éminente (et lançant de fait, ici, des aigus vertigineux), galopant à travers la scène et multipliant les contorsions, avec un abattage inlassable, en tenue légère (guêpières et autres corsets bouffants).

Si l’on est parfois à la limite – franchie à quelques reprises – de la vulgarité, avec ce  Barrie Kosky sur son versant Mel Brooks, c’est souvent d’une drôlerie irrésistible. Tous les autres chanteurs sont dans le même ton, et avec des capacités voisines – hors l’Opinion publique, sobrement vêtue de noir et très digne, d’une Anne Sofie von Otter excellente diseuse, à qui est laissé son texte, même si la voix marque son âge dans Barcarolle, mélodie extraite du cycle Les Voix mystérieuses (1852), ajoutée au début du II.

À relever encore la qualité et l’à-propos de la chorégraphie très présente d’Otto Pichler, qui sert à caractériser les personnages (Mercure, pour le délicieux « Rondo saltarelle » qui accompagne son entrée), ou à commenter l’action, avec énormément d’humour, là encore (une impayable « Danse des abeilles », pour l’apparition d’Aristée/Pluton).

Le tout culmine dans un tableau des Enfers véritablement orgiaque, dominé par un grand Lucifer pédalant sur une monumentale roue lumineuse, pour déchaîner ce qui est alors la foule du plateau. Le chœur Vocalconsort Berlin, auquel il est énormément demandé, est aussi performant vocalement que scéniquement.

Pas de faiblesse, non plus, chez les solistes – sinon dans une prononciation le plus souvent incompréhensible des airs, qui restent chantés en français –, dont l’irrésistible Aristée/Pluton de Marcel Beekman, dont la voix de tête et les ressources de mimique nous ont plusieurs fois ravi dans les nourrices baroques, et le Jupiter non moins déchaîné de Martin Winkler.

Le ténor espagnol Joel Prieto, qu’on a connu ici en excellent Don Ottavio, donne à Orphée des qualités de timbre et de phrasé inusuelles, dans un rôle qu’il anime avec une belle agilité. Quant à Nadine Weissmann, elle impose un Cupidon de format vocal inattendu (celui de son Erda de Bayreuth !).

À côté de la charmante Vénus de Lea Desandre, la Diane puissante de Vasilisa Berzhanskaya domine les seconds rôles. Enrique Mazzola, enfin, tire toute la ressource d’un Wiener Philharmoniker de luxe.

La reprise, à l’identique, des parfaites Alcina de Pentecôte 2019 (voir O. M. n° 152 p. 38 de juillet-août) et Salome de 2018 (voir O. M. n° 143 p. 64 d’octobre) parachève cette fastueuse programmation de la deuxième saison de Markus Hinterhäuser, laissant augurer au mieux de celle qui marquera, l’été prochain, un autre anniversaire de poids : le centenaire de la fondation du Festival.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © SALZBURGER FESTSPIELE/MONIKA RITTERSHAUS

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