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Comptes rendus

Simon Boccanegra échoue scéniquement à Salzbourg

28/08/2019

Grosses Festspielhaus, 18 août

Simon Boccanegra reste une rareté à Salzbourg, avec seulement deux productions antérieures : en 1961 et en 2000 – cette dernière, fameuse, dirigée par Claudio Abbado et mise en scène par Peter Stein. Reconduits de leur brillante Lady Macbeth de Mtsensk de 2017 (voir O. M. n° 132 p. 65 d’octobre), Andreas Kriegenburg et son équipe ont pris un parti comparable, s’appuyant sur une scénographie monumentale, malheureusement avec un résultat inverse.

Andreas Kriegenburg avait exprimé ses réticences avant d’accepter le projet, disant curieusement redouter d’avoir à affronter la richesse de la partition. Du coup, il a choisi de lui opposer l’ascétisme total de la scène, pour un problématique effet de contrepoint. D’où ce plateau presque vide, dont l’architecture dépouillée souligne la vastitude : modernisme de grands arcs laissant chichement entrevoir le ciel et la mer, au III seulement, et côté cour, emboîtement de cylindres autour d’un escalier et d’une tribune de parade qui évoqueraient plutôt l’Italie mussolinienne.

Pas d’autre élément de décor que ces parois lisses et dénudées, durement éclairées, sinon un Bosëndorfer des plus incongrus, sur lequel Gabriele esquissera quelques notes pour son entrée, et une poignée de bambous, tels qu’ils ornent les halls d’entreprise. Froideur implacable du capitalisme d’aujourd’hui, nous explique-t-on, et d’autre part, réactions désordonnées des réseaux sociaux, que signalent, non sans naïveté, ces smartphones sur lesquels s’affairent tous les choristes, tandis que des projections mitraillent leurs messages sur le grand rideau tendu sur une bonne partie de la scène pendant le Prologue.

Et la nature, dont le ravissant « Come in quest’ora bruna » d’entrée du I donne la si suggestive évocation ? Justement : elle est condamnée par le monde inhumain d’aujourd’hui ! Par ailleurs, on reste stupéfait de la pauvreté de la direction d’acteurs, réduite à une poignée d’attitudes conventionnelles, le plateau désert et son ambiance désespérément glaciale soulignant encore l’indigence de vaines déambulations.

La partie musicale compense assez largement. Pour sa prise de rôle tardive – dont il s’étonne lui-même ! –, René Pape déroule sans peine un Fiesco somptueux, assurément la splendide basse profonde exigée par Verdi, qui descend aisément jusqu’au fa bien sonnant de son magnifique « A te l’estremo addio » du Prologue. Et son jeu restreint s’accommode de la hautesse dédaigneuse du personnage.

Charles Castronovo, en très grande forme, donne un Gabriele ardent et lumineux, malgré quelques coups de glotte inutiles dans l’irruption de fureur du II (« O inferno ! »), les ressources brillantes de l’acteur suffisant à imposer son personnage.

Pour un rôle abordé à Bari, en janvier dernier, Luca Salsi a bien toutes les caractéristiques vocales du « baryton Verdi », le beau timbre, le riche médium. Mais l’expressivité demeure limitée, pour l’incarnation du Doge tourmenté et désenchanté. Tandis qu’André Heyboer assure un Paolo suffisamment diabolique et mordant.

Les vrais moments d’émotion viennent surtout de la très belle Maria/Amelia de Marina Rebeka, un peu limitée dans les graves, mais admirable dans le déploiement d’un aigu puissant et chaleureux, qui suffit à tracer le portrait nuancé de l’héroïne, par ailleurs banalisée par la mise en scène.

Après son Tannhäuser discuté de Bayreuth, son annulation du 13 août, et l’aller-retour en Russie suite au décès de sa mère, Valery Gergiev est revenu à temps pour la première du 15. Dans ces moments chahutés, on devine le peu de temps consacré aux répétitions : le nez constamment dans la partition, le chef en donne une lecture très avare de nuances, pourtant parfaitement en place et d’une efficacité dramatique certaine, avec un orchestre (Wiener Philharmoniker) qui, heureusement, en connaît bien les détours, et des chœurs tout aussi aguerris (Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor).

Dans ces conditions musicales globalement de haut niveau, on se désole d’autant de l’échec scénique, dû à un parti aberrant obstinément mené à son terme.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © SALZBURGER FESTSPIELE/RUTH WALZ

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