Felsenreitschule, 6 août
Pour le spectacle d’ouverture de l’édition 2019, reconduction de l’équipe qui avait ouvert, avec La clemenza di Tito, le Festival 2017 (voir O. M. n° 132 p. 62 d’octobre). Même salle, même type de décor aussi, avec le vaste plateau dénudé qu’occupent les sculptures de George Tsypin, et notamment ces colonnes de verre aux éclairages colorés intermittents qui montent par moments des dessous.
Même propos moral encore, en prise sur l’actualité contemporaine, dans la mise en scène de Peter Sellars. Pour Tito, sur le thème des migrants, et, pour Idomeneo, sur celui de l’écologie : le programme de salle s’ouvre sur des témoignages militants à ce sujet, celui de Greta Thunberg notamment ! Pour autant, on ne verra pas de banderoles revendicatives, non plus que de vidéos dénonciatrices, les photos d’apocalypse étant réservées au programme. Aucune projection, aucun didactisme non plus, mais, une nouvelle fois, la prise en main, avec une extraordinaire vigueur, de l’espace complet du plateau.
Parti radical aussi, en communauté totale de vues avec le chef Teodor Currentzis : nombreuses coupes (contrairement à la quasi-intégrale réalisée avec Simon Rattle à Glyndebourne, en 2003) ; et introduction de deux airs – celui, avec chœur, du Grand Prêtre de Thamos, bien en situation (et superbement chanté par la basse David Steffens), et plus discutable, pour sa longueur et son instrumentation différente, l’air de concert « Non temer, amato bene », confié à Idamante, juste avant l’intervention de l’Oracle.
Pour le reste, si écologie il y a, elle s’appuie sur une donnée majeure du livret : la figure centrale du dieu Neptune, représentant éminent de la nature, telle qu’elle gronde puissamment sur les premières mesures de l’Ouverture, attentif à défendre ses prérogatives, et à remettre l’humanité sur le droit chemin.
Des formes transparentes, qui peuvent évoquer les objets divers envahissant les plages, s’envoleront vers les cintres en même temps que les colonnes du temple dans le splendide tableau de la tempête au II, pour rester suspendues, parmi les éclairages changeants, pendant tout le III.
Le ballet final est une nouvelle surprise, avec une danse des îles Samoa, à deux solistes (belle chorégraphie dépouillée de Lemi Ponifasio), qui réunit à la fois, pour l’universalité du message, le rituel d’une autre culture, et l’immersion dans l’immensité de l’océan tout-puissant – pacifique en l’occurrence.
À la manœuvre surtout, l’étourdissante direction d’acteurs de Peter Sellars, conjuguant étroitement l’investigation psychologique et la plastique la plus pure, pour culminer dans un quatuor du III d’anthologie.
Ce travail très magistralement élaboré trouve sa parfaite correspondance dans la direction, tout aussi puissante que raffinée, de Teodor Currentzis. Le chef gréco-russe triomphe définitivement de toutes les réticences, grâce à un Freiburger Barockorchester en grand effectif, insurpassable tant pour la riche couleur de l’ensemble que pour les performances individuelles (Maria Shabashova au pianoforte, en particulier), et au splendide chœur MusicAeterna, qui répond impeccablement aux indications très sophistiquées du maître d’œuvre.
Seul chanteur reconduit de l’équipe de La clemenza di Tito, Russell Thomas est un Idomeneo musclé, qui sonne ici comme l’Otello dont il est plus familier, aussi loin de la pureté de ligne d’un Ramon Vargas que de l’intériorisation torturée d’un Richard Croft. Pour autant, le ténor américain allège avec une belle maîtrise, négociant sans faiblesse les écueils de « Fuor del mar ».
À côté du solide Oracle de Jonathan Lemalu, Issachah Savage donne un Grand Prêtre d’une rare somptuosité, l’Arbace de Levy Sekgapane, séduisant mais nettement plus léger, restant un peu en retrait.
Nicole Chevalier est une Elettra qui brûle les planches, dès son « Tutte nel cor vi sento » initial. Mais la soprano américaine réussit tout autant le lyrisme apaisé de « Idol mio », avant le retour à la fougue de son étourdissant « D’Oreste, d’Aiace » de sortie, entraînant cette fois d’irrépressibles acclamations.
Touchante et délicate, Ying Fang est une Ilia d’une pureté égale de porcelaine, dont elle a aussi le ferme éclat. Mais le plateau est dominé par l’Idamante ardent de Paula Murrihy, au travesti parfait, et d’une vibrante et constante émotion.
Un travail d’équipe exemplaire, où la communauté toujours perceptible d’intentions donne de nouveau un formidable résultat.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © SALZBURGERFESTSPIELE/RUTH WALZ