Prinzregententheater, 26 juillet
À Munich, la deuxième nouvelle production du Festival a traditionnellement pour cadre le très « bayreuthien » Prinzregententheater, et ce toujours pour quelques représentations seulement, sans possibilité de reprise, le lieu étant ensuite régulièrement occupé pendant l’année par sa propre saison.
Pour cette Agrippina de Haendel, Rebecca Ringst a conçu l’un de ces dispositifs métalliques, froids, sinistres, qu’elle affectionne. La scène du Prinzregententheater est laissée, une fois de plus, complètement apparente (un véritable poncif : on connaît par cœur ces murs noirs, ces tuyaux, ces câbles, ces radiateurs, etc.), avec juste un large parallélépipède tournant au centre, sorte d’immeuble d’acier à deux étages, dont les ouvertures sont tantôt occultées, tantôt révélées par des stores électriques.
Esthétiquement, c’est vraiment le service minimum, mais l’ensemble est pratique, offrant de quoi ménager à vue de nombreux espaces de jeu différents, dont un étroit escalier sans doute assez exténuant pour les chanteurs, à sans cesse escalader ou dévaler.
Beaucoup plus créatifs, les costumes de Klaus Bruns, résolument contemporains, jouant malicieusement de tous les codes vestimentaires du moment. Cravates voyantes et complets deux pièces trop cintrés pour les seconds couteaux, turbans et drapés luxueux pour Agrippina, jolie collection de toilettes haute couture pour Poppea, et surtout d’impayables dégaines pour Nerone, « bad boy » de bonne famille surchargé de tatouages, bagues et piercings.
Mais l’apport déterminant à la réussite de la soirée, outre le génie de Haendel, dont cette Agrippina de jeunesse, petit bijou de comédie grinçante, reste l’un des plus délicieux chefs-d’œuvre, c’est bien à Barrie Kosky qu’on le doit. Selon ses propres dires, le metteur en scène australien ne prémédite pas sa conception des personnages. Son travail s’effectue principalement au cours des répétitions, en fonction du « matériau » humain à disposition, afin de tirer de chaque interprète ce qu’il peut donner de meilleur. Et le résultat est totalement génial.
Dès le départ, les mimiques rusées d’Alice Coote, Agrippina constamment conspiratrice, donnent le ton. La mezzo britannique n’est plus au meilleur de sa forme, avec des aigus négociés systématiquement en force, mais sa performance reste absolument brillante. À l’opposé, toute juvénile, délicieuse danseuse aux pieds légers, la soprano française Elsa Benoit est une Poppea de pur charme, malgré une voix pas encore tout à fait assez charpentée pour l’emploi.
La basse italienne Gianluca Buratto campe un excellent Claudio, chef militaire harassé par son environnement domestique. Mais le meilleur est certainement à trouver parmi les contre-ténors. Bien sûr, en Nerone, Franco Fagioli, formidable génie comique et vocaliste étourdissant (son « Come nube, che fugge dal vento », avec un da capo insensé, orné jusqu’au délire, fait crouler la salle !), mais aussi le merveilleux Iestyn Davies, Ottone élégiaque aux fascinantes rechanges de couleur.
Superbe travail en fosse de la part d’Ivor Bolton, que l’on n’avait encore jamais entendu aussi inspiré : phrasés larges et enveloppants, plus aucun maniérisme trop appuyé… Une véritable fête de timbres et de juste expressivité.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © WILFRIED HÖSL