Nationaltheater, 27 juin
Pour cette nouvelle Salome, donnée en ouverture du Festival (Opernfestspiele) du Bayerische Staatsoper, soit traditionnellement la soirée d’opéra munichoise la plus chic et attendue de l’année, le choix de Krzysztof Warlikowski et Malgorzata Szczesniak paraissait pertinent, au vu notamment de la réussite antérieure de leur production de Die Frau ohne Schatten, toujours au répertoire de la maison. Mais, cette fois, l’exercice collectif de détricotage/recomposition, dont cette équipe a l’habitude, n’aboutit qu’à un spectacle crypté, dont les tenants et aboutissants restent tortueux.
Curieusement, ce qui a le plus interpellé Warlikowski dans Salome, c’est le caractère politiquement incorrect des interventions des Cinq Juifs (quatre ténors et une basse). Un antisémitisme déplaisant, certes, tant chez Oscar Wilde que chez Richard Strauss, mais de là à construire une production tout entière sur cette dérive, quand même assez coutumière pour l’époque ! Donc, nous voilà non plus en Palestine sous domination romaine, mais dans un ghetto juif, cerné par d’invisibles nazis, au cours de la Seconde Guerre mondiale : un étrange décor de bibliothèque en partie ruinée (dispositif qui peut s’élargir à vue, en démasquant… un bassin de piscine olympique vide !).
La bibliothèque serait celle d’une école rabbinique, dans laquelle une communauté juive tente de survivre, et pourquoi pas en montant en cachette une représentation théâtrale sur le thème biblique de Salomé, pendant qu’à l’extérieur, la mort rôde, voire finira par emporter tous les protagonistes de la pièce ? Le problème est que ce concept, même remâché de multiples références (Pasolini, Cavani, Losey…), reste obstinément plaqué sur le sujet, voire inefficace.
Beaucoup de bévues, à commencer par l’ajout d’un Prologue sonorisé (une pantomime sur le premier des Kindertotenlieder de Mahler par Kathleen Ferrier), ou encore la platitude du traitement de l’interlude entre les scènes 3 et 4 (tout le monde dresse gentiment la table pour un repas de Shabbat, en totale contradiction avec l’intensité orchestrale torride du moment !).
Reste à apprécier de belles idées ponctuelles, comme une « Danse des sept voiles » bien réglée par le chorégraphe français Claude Bardouil (un pas de deux avec un inquiétant vieillard mortifère, sur fond de fresques hébraïques animées en vidéo), ou encore une vision très imaginative des relations de séduction entre Salome, Narraboth et Jochanaan.
Marlis Petersen a osé aborder le rôle-titre, car elle savait que ce serait le très attentionné Kirill Petrenko qui dirigerait en fosse. L’association fonctionne effectivement bien pendant les premières scènes, détaillées avec une infaillible sûreté d’intonation et de diction : une fascinante performance de chanteuse de lieder, que le chef russo-autrichien accompagne en veillant toujours à limiter le volume de l’orchestre.
Mais, dans la scène finale, ce travail minutieux ne suffit plus. Il faudrait que la cruauté brutale de la situation, voire l’orgasme orchestral ultime, explosent avec encore plus de force. Kirill Petrenko se rattrape brillamment ailleurs, notamment dans une « Danse des sept voiles » d’anthologie, mais reste handicapé par une Salome qui n’a pas vraiment l’envergure de l’emploi.
Bel ensemble de chanteurs-acteurs autour, tous bien connus et appréciés à Munich, avec une mention spéciale pour Michaela Schuster, Herodias encore très saine, mais aussi pour Pavol Breslik, Narraboth flamboyant. Wolfgang Koch, Jochanaan parfois instable, et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Herodes trop peu autoritaire, se tirent moins bien de l’opacité discutable du projet scénique.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © WILFRIED HÖSL