Opéra Berlioz, 24 juillet
Certains festivals se contentent de rajeunir quelques piliers du répertoire lyrique, grâce au regard nouveau d’un metteur en scène. D’autres, comme à Montpellier, vont puiser dans les recoins cachés de l’histoire de l’opéra. Avec plus ou moins de succès, c’est là aussi le risque d’une démarche ambitieuse, ne se limitant pas aux territoires balisés. Le choix d’une version de concert permet, en outre, d’aller à l’essentiel : que reste-t-il d’une musique ayant connu son heure de gloire et dont seul le nom a résisté à l’épreuve du temps ?
Créé à Bruxelles, en 1897, repris à l’Opéra-Comique, l’année suivante, Fervaal est l’exemple même de ces ouvrages encensés un jour, oubliés ensuite, qui méritent un nouvel examen (voir O. M. n° 152 pp. 26-30 de juillet-août 2019). Car cette « action musicale » s’impose par sa hauteur de vue : les grandes perspectives de son architecture, l’ambition de son propos poétique, autant que la science accomplie de son instrumentation, la rendent à la fois intimidante et sublime.
De toute évidence, Vincent d’Indy marque sa différence avec plusieurs de ses confrères, dont le premier souci était de plaire au plus grand nombre. On ne sent chez lui aucune complaisance, aucune « aire de repos » sur un chemin ne voulant connaître que les crêtes. Certes, au cours de ces plus de trois heures de marche, on repère quelques tunnels, mais, même là, souffle toujours un vent tonique.
Pour nous mener sans risque dans ces zones d’altitude, pour nous en faire découvrir les imposants panoramas, pour nous permettre d’en goûter les richesses, Michael Schonwandt se présente comme le meilleur des guides. Sous sa direction attentive, passionnée, orchestre (Montpellier), chœurs (Montpellier & Radio Lettone) et solistes réussissent à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Le rôle de Fervaal, sur lequel repose l’essentiel de l’ouvrage, est terriblement difficile, car il exige tout à la fois de l’endurance et une certaine forme de juvénilité, pour ne pas dire d’ingénuité. L’interprétation qu’en donne Michael Spyres est stupéfiante.
On ne sait ce qu’il faut admirer le plus chez lui, entre la diction exemplaire, le lyrisme intense, l’art des nuances, le rayonnement permanent jusqu’aux embrasements les plus spectaculaires. De la première à la dernière note, le ténor américain se présente comme l’héritier naturel des plus grands noms du passé : Georges Thill, César Vezzani, Nicolai Gedda…
La prestation de Jean-Sébastien Bou mérite d’égales louanges. C’est en artiste de haute exigence et de parfaite discipline que le baryton français aborde le rôle, très long également, du druide Arfagard. Il en fait ressortir l’autorité foncière, mais aussi la profonde chaleur humaine.
Avec toujours une part de mystère, Gaëlle Arquez incarne avec vraisemblance Guilhen, la belle Sarrasine qui soigne Fervaal et se lie avec lui. Son timbre de mezzo-soprano lui permet d’exprimer toutes les étapes, jusqu’à la mort, de sa passion amoureuse. Mais, pour traduire avec éclat la rage de la princesse guerrière, à la fin du premier acte, il aurait fallu certainement une voix plus ample et plus corsée que la sienne.
De même, on peut regretter – mais c’est là infime reproche – que le personnage de Kaito, proche d’Erda ou de Taven, n’ait pas été confié à un grand contralto, aux couleurs plus sombres que celles d’Elisabeth Jansson. Treize autres solistes, se partageant une bonne vingtaine de rôles (tous masculins), complètent cette distribution qui, au terme d’une première écoute, nous paraît être proche de l’idéal.
Cette résurrection bienvenue connaîtra-t-elle des lendemains ? Il serait dommage déjà qu’il n’en reste pas une trace officielle et que seuls les spectateurs du Festival et les auditeurs de France Musique aient pu, l’espace d’un seul soir, reconnaître sa place éminente dans l’histoire de l’opéra français. Pas uniquement, faut-il le préciser, au chapitre du wagnérisme en vogue aux alentours de 1900.
PIERRE CADARS
PHOTO © LUC JENNEPIN