Opera Vlaanderen, 21 juin
Ce nouveau Macbeth de l’Opera Vlaanderen, coproduit avec Luxembourg et Düsseldorf, se joue dans une fosse sombre, peut-être une citerne, ou bien une lande marécageuse, et peut-être encore le chaudron dans lequel les Sorcières préparent un infernal brouet, poisseux et sanglant. À la fois un espace clos et un piège, dont les parois incurvées se révèlent glissantes, pénibles à l’ascension, et empêchent souvent tout espoir de fuite. Trois parois rigides et tout aussi sombres enserrent cet espace, figurant une manière de mur antique d’une solennité lugubre.
L’obscurité, savamment ménagée par des lumières oxymoriques, règne ici en noirceur de l’âme ardemment figurée. Parfois, de chaque côté, les choristes se dressent et, là encore, dans la rigidité marmoréenne du jugement horrifié, la statuaire antique s’impose. À d’autres instants, ils grouillent en reptations floues, à la façon des Sorcières qui s’illustrent dans un sabbat lascif, brassière aux seins et robe noire, un kilt peut-être, couvertes de sang. Bientôt, elles se feront cannibales, se repaissant sauvagement du corps de Banco, livré à leur frénésie.
C’est alors que la mise en scène bascule de la sobriété rugueuse à un vampirisme plus convenu. L’atmosphère d’oppression et d’étouffement se dissipe progressivement avec des illustrations décevantes, car trop explicites : la forêt est un simple lancer de branches dans la fosse, menace d’enterrement, visuellement quelconque ; et, au final, alors que débute le règne de Malcolm, un flot de sang vient signifier la perpétuation des cruautés et des crimes. Ces rares réserves n’enlèvent rien à cette mise en scène d’une rare tension, par laquelle Michael Thalheimer poursuit son cycle Verdi (après La forza del destino et Otello).
La distribution est soignée, avec des chanteurs totalement impliqués dans leurs rôles. Tareq Nazmi est ainsi un superbe Banco, à qui il donne l’ampleur de son chant, la noirceur de son timbre et la profondeur de ses graves, tout en campant un personnage d’une admirable roideur.
Moins veule et hésitant qu’il ne l’est parfois, le Macbeth de Craig Colclough séduit par l’incarnation d’une forme de résignation suicidaire. Courant à sa perte, il est réduit à errer dans cette fosse dont il ne peut s’extirper, et il porte sur lui ce poids de l’inéluctable. La voix impose ici cette blessure, avec des nuances, des demi-teintes, parfaitement dosées.
Arachnéenne, féroce, vénéneuse, reptilienne aussi, la Lady Macbeth de Marina Prudenskaya peine parfois à s’imposer dans la partie haute du registre (c’est une vraie mezzo-soprano), mais c’est de peu d’importance au regard de la parfaite incarnation du rôle, à qui elle donne des raucités suaves, des douceurs flamboyantes, des férocités brûlantes, servie par un timbre voluptueux, une diction et une projection sans faille.
Solides prestations de Najmiddin Mavlyanov en Macduff et de Chia-Fen Wu en Dame d’honneur, ainsi que des chœurs, remarquables d’intensité. Dans la fosse, l’autre fosse, Paolo Carignani impose une direction précise, vigoureuse, mordante.
Ce Macbeth de fin de saison rappelle combien le mandat d’Aviel Cahn, désormais appelé à la tête du Grand Théâtre de Genève, a fait de l’Opera Vlaanderen une maison puissamment portée vers le théâtre, par des lectures stimulantes, audacieuses et réfléchies.
JEAN-MARC PROUST
PHOTO © ANNEMIE AUGUSTIJNS