Comptes rendus Don Giovanni en demi-teinte au Palais Garnier
Comptes rendus

Don Giovanni en demi-teinte au Palais Garnier

28/06/2019

Palais Garnier, 13 juin

Monumental, bétonné, figé dans la grisaille : le décor de Jan Versweyveld est inquiétant, qui évoque de loin les Prisons de Piranèse ou les peintures métaphysiques de Giorgio De Chirico. Mais faut-il voir une portée philosophique dans la conception d’Ivo van Hove ?

Son approche de Don Giovanni n’est en rien romanesque. Le séducteur est ici antipathique à souhait, destructeur, goinfre, toujours le pistolet à la main ; rien ne semble l’arrêter, ni les supplications de Donna Elvira, ni les avertissements d’un Leporello qui, superficiellement, lui ressemble (mais cette apparence de gémellité n’est pas exploitée un seul instant), et sans que l’on éprouve pour lui la moindre compassion. Une vision qui pourrait être intéressante, si elle était poussée quelques crans plus loin, et qui, du coup, peine à se dégager des conventions.

Amateur de vidéos, Ivo van Hove joue cette fois la sobriété, n’y recourant que lors de la descente aux Enfers d’un héros bien ordinaire, alors que les trois éléments du décor, rapprochés, forment un seul bloc sur lequel arrivent en zoom des images de corps torturés. Pas de couleurs dans cet univers sinistre, sauf à la fin du premier acte, où des mannequins en robes à paniers du XVIIIe siècle figurent peut-être les victimes passées du libertin ; et aussi pendant le chœur final où, le monstre n’étant plus là, la clarté revient… pour montrer hélas les balcons garnis de pots de fleurs minables, comme si la réalité retrouvée ne pouvait être que miteuse.

Où va Ivo van Hove ? S’est-il arrêté en route, même si son travail sur les récitatifs est intéressant et montre le talent de l’homme de théâtre? Comme son précédent Boris Godounov à l’Opéra Bastille, son Don Giovanni au Palais Garnier – coproduit avec le Metropolitan Opera de New York, où il sera donné au cours de la saison 2020-2021 – laisse un goût d’inachevé.

Philippe Sly se place en tête d’une distribution inégale. Son Leporello virevoltant, agile, chanté d’une voix pleine et sonore, et habilement joué, s’impose face au Don Giovanni d’Etienne Dupuis (un Canadien, comme lui), qui, sans doute bridé par la mise en scène, livre un personnage vocalement très correct, mais tout d’une pièce, sans nuance, sans ambiguïté.

Stanislas de Barbeyrac, qui semble désormais prêt pour des emplois plus larges, incarne un Don Ottavio franc, généreux et sincère. Le Commandeur ne pose aucun problème au solide Estonien Ain Anger, et Mikhail Timoshenko est un Masetto encore un peu vert, mais convaincant.

Même si l’on aimerait pour Zerlina un timbre plus charnu, on est séduit par la grâce et la finesse d’Elsa Dreisig. Jacquelyn Wagner ne discipline pas toujours son ample soprano – une partie de « Non mi dir » est chantée un peu trop haut –, mais sa Donna Anna est crédible, de même que la Donna Elvira de Nicole Car, en dépit de respirations intempestives dans « Mi tradi » – là encore, on attend davantage.

Philippe Jordan est au pupitre, et aussi au pianoforte pour les récitatifs, qu’il soutient sobrement, voire sèchement. L’Orchestre de l’Opéra National de Paris, superbe de texture, obéit à une direction qui regarde vers le passé, tant pour l’articulation que pour un son revendiqué comme homogène et assez peu différencié, comme si les « baroqueux » n’avaient jamais existé. Ce qui peut se défendre, mais se révèle frustrant, tant la dimension dramatique est absente.

Rien n’est vraiment blâmable dans cette nouvelle production, mais on espère autre chose de Don Giovanni et d’abord qu’il surprenne, et sorte le spectateur de sa zone de confort. Faut-il, pour cela, attendre le passage du temps et d’autres distributions ?

MICHEL PAROUTY

PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/CHARLES DUPRAT

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