Opéra National de Grèce, 15 mai
On allait à Athènes pour une titillante affiche – Fanny Ardant mettant en scène Chostakovitch – et on en est revenu charmé par le nouveau bâtiment abritant l’Opéra National de Grèce. Pas seulement en raison du somptueux complexe créé par Renzo Piano, du charisme calme du directeur artistique, le compositeur Giorgos Koumendakis, ou des perspectives de coproductions internationales (Londres, Munich), favorisées par les dotations de 5 millions d’euros par an de la Fondation Stavros Niarchos sur les quatre prochaines années.
Le coup de cœur émane surtout de la sensation de contact physique avec le son instrumental, très présent et qui, pourtant, n’écrase pas les voix. Du coup, la représentation est avant tout une orgie orchestrale, menée avec fermeté par le chef Vassilis Christopoulos.
La seconde grande surprise est la qualité d’ensemble du vivier vocal grec. Lady Macbeth de Mtsensk foisonne en rôles secondaires, courts mais à découvert. Or, les chanteurs du cru ont tous très bien tenu leur rang, égalité de niveau que l’on n’observe pas forcément dans des maisons nettement plus huppées.
Nikos Stefanou possède la voix perçante du Balourd miteux, mais il doit lutter contre un orchestre déchaîné qui ne lui fait aucun cadeau. Sophia Kyanidou assure en Aksinia, Yannis Christopoulos plafonne un peu en Zinovyï, et c’est le Boris de Yanni Yannissis qui emporte la palme côté grec, prouvant qu’il est bien plus avisé de distribuer ici une grande voix mature qu’une vedette décatie.
Le Russe Sergey Semishkur est d’un aplomb parfait en Sergueï. Dramatiquement, il ne peut faire ce qu’on ne lui demande pas, mais vocalement, il est le triomphateur face à sa compatriote Svetlana Sozdateleva, très bonne Katerina, mais sans l’épanouissement ultime dans les grandes scènes conflictuelles, sans cet airain qui porte à l’exaltation.
Un dernier coup de chapeau à l’impeccable Sonietka de Victoria Mayfatova nous permet de passer au cœur du sujet : la dramaturgie. Le décorateur Tobias Hoheisel, qui effectue une coupe en tranche de la maison et de la chambre, et les très remarquables costumières, Milena Canonero et Petra Reinhardt, nous situent à l’époque des tsars. Ce spectacle est-il donc une réaction à trop de catharsis sur les scènes européennes dans cet ouvrage, ces dernières années ?
Concession à la « modernité », deux éphèbes (on est en Grèce) en costume d’Adam, attifés en paon blanc et en paon noir, s’enlacent. Si c’est pour symboliser les pulsions sexuelles féminines, thème moteur de l’opéra, c’est un peu raté. Au fond apparaissent timidement, à quatre ou cinq reprises, des gens à poil, en train de se tortiller. Le sommet est atteint par la pièce montée de nus sur roulettes qui déboule par cette porte de garage, en lieu et place du spectre de Boris.
Ces élucubrations gestuelles, tassées dans le coin arrière-droit de la scène, tant et si bien qu’elles sont probablement cachées à un cinquième du public, remplacent une vraie direction d’acteurs. Pris à la lettre et recontextualisé au temps des tsars (même si « l’époque et la politique n’ont pas d’importance », déclare Fanny Ardant), ce spectacle ne nous amène pas à nous intéresser au personnage de Katerina, à ses ressorts trop communs et trop banals.
En fait, Fanny Ardant donne totalement raison au regretté Michael Gielen, lorsqu’il déclarait à la radio SWR, à l’occasion de ses 90 ans : « Il doit y avoir confrontation entre l’œuvre et ce que l’on voit, actualisé, sur scène. (…) La mise en scène historicisante est forcément condamnée à l’échec. » Au vu de la quantité de récentes réussites et de la fadeur de cette production, on ne saurait le contredire…
CHRISTOPHE HUSS
PHOTO © DIMITRIS SAKALAKIS