J’aurais aimé vous parler du futur directeur de l’Opéra National de Paris, appelé à remplacer Stéphane Lissner, en août 2021. Las, le dossier est encalminé à l’Élysée depuis maintenant deux mois.
La dernière info remonte au 28 mars, avec la « fuite », sur le site du magazine Challenges, de la liste des quatre candidats sélectionnés à l’issue des auditions par le comité nommé par le ministère de la Culture : Olivier Mantei, actuel directeur de l’Opéra-Comique ; Peter de Caluwe, actuel directeur de la Monnaie de Bruxelles ; Dominique Meyer, actuel directeur du Staatsoper de Vienne ; Alexander Neef, actuel directeur de la Canadian Opera Company de Toronto.
Franck Riester, ministre de la Culture, a ensuite transmis sa préconisation à Emmanuel Macron, qui a la possibilité de nommer qui il veut, au besoin quelqu’un ne figurant pas sur la liste. Sauf qu’il n’a encore nommé personne ! Or, comme tout le monde le dit et le répète, il y a urgence. J’écris ces lignes le 24 mai, en espérant que le président de la République aura enfin pris une décision, au moment où ce numéro parviendra entre vos mains.
L’actualité de l’Opéra de Paris se résume, dès lors, à la préparation de la nouvelle production de Don Giovanni au Palais Garnier, avec sa fort séduisante distribution, emmenée par Etienne Dupuis et Nicole Car, unis à la ville comme à la scène, qui figurent en couverture de ce numéro. Ainsi qu’à la énième annulation de Jonas Kaufmann, tant attendu par ses admirateurs dans Tosca, qui a dû renoncer aux cinq premières représentations, pour raisons de santé, alimentant comme d’habitude rumeurs et spéculations sur les réseaux sociaux.
L’actualité discographique, elle, est dominée par la sortie, chez Decca, du premier récital de Lise Davidsen, la formidable soprano norvégienne qui, à 32 ans, fera ses débuts à Bayreuth dans quelques semaines, en Elisabeth de Tannhäuser. Nous attendions l’exceptionnel et c’est effectivement ce que cet album nous offre (voir notre compte rendu en ouverture des pages « Guide » de ce numéro). Mais la réussite aurait-elle été aussi éclatante sans la présence d’Esa-Pekka Salonen au pupitre ?
On ne dira jamais assez l’importance du chef d’orchestre dans les récitals de chanteurs. Depuis qu’on en enregistre, s’est instaurée la mauvaise habitude de confier la baguette à des musiciens au métier souvent incontestable, mais incapables de « porter » le ou la soliste vers les cimes. Pourtant, l’album Great Opera Scenes de Renée Fleming n’aurait sans doute pas été le plus réussi de son impressionnante discographie sans la présence de Georg Solti. Ni les Verdi Heroines d’Angela Gheorghiu et Rossini Arias de Juan Diego Florez sans Riccardo Chailly. Ni le Verdi Arias de Roberto Alagna sans Claudio Abbado. Ni le Russian Album d’Anna Netrebko sans Valery Gergiev. Ni, en remontant plus loin dans le temps, les Puccini Heroines, Lyric & Coloratura Arias et At La Scala de Maria Callas sans Tullio Serafin.
Les grands chefs, on le sait, rechignent à se plier à l’exercice, le jugeant sans doute indigne de leur talent. Et, sauf erreur, c’est la première fois qu’Esa-Pekka Salonen le fait. A-t-il accepté parce qu’il s’agissait du premier récital d’une cantatrice en laquelle il croit ? Très certainement, même si on peut également imaginer que le contenu du programme (Wagner et Richard Strauss) a influencé sa décision.
Le résultat, en tout cas, est admirable. À tous ceux qui, parmi la jeune génération, déplorent l’absence de grandes voix dramatiques, puissantes, intenses, et en même temps disciplinées, Lise Davidsen apporte un vibrant démenti. Et puis, quel plaisir, dans le déferlement actuel de récitals « baroques », d’entendre du Wagner et du Strauss !
RICHARD MARTET