Comptes rendus Trois ténors pour Platée à Dresde
Comptes rendus

Trois ténors pour Platée à Dresde

17/05/2019

Semperoper, 29 avril

Dresde a réuni pas moins de trois ténors pour la création in loco de Platée (Versailles, 1745) : Philippe Talbot dans le rôle-titre, Paul Agnew comme chef d’orchestre et Rolando Villazon comme metteur en scène.

Après la reprise de la production de Laurent Pelly à l’Opéra National de Paris, en 2015, sous la baguette de Marc Minkowski, Philippe Talbot confirme d’éclatante manière ses affinités avec le personnage. Un chant raffiné et très naturel, une articulation parfaite, une capacité à montrer, sans en faire trop, toutes les émotions de la nymphe font du ténor français une Platée idéale.

Si l’on excepte l’éblouissante Folie de la soprano lettone Inga Kalna, le reste de la distribution est plutôt inégal. La diction des barytons-basses allemands Sebastian Wartig et Andreas Wolf, respectivement Momus et Jupiter, laisse beaucoup à désirer, même si le second compense partiellement par une projection souveraine.

Avant Philippe Talbot, Paul Agnew a chanté Platée dans la mise en scène de Laurent Pelly. C’est dire s’il connaît le rôle et l’œuvre, qu’il avait d’ailleurs déjà dirigée avec Les Arts Florissants. Dans une fosse du Semperoper largement rehaussée pour rendre l’orchestre plus audible, le successeur désigné de William Christie trouve le ton juste, entre tragédie et comédie, drame et humour.

Il caractérise finement chaque danse, passant avec le même bonheur d’un déjanté joyeux (les chorégraphies hip-hop de Philippe Giraudeau ne sont plus véritablement une nouveauté dans l’opéra baroque, mais elles fonctionnent toujours excellemment) à une émouvante poésie.

Metteur en scène désormais expérimenté, Rolando Villazon réussit à faire du « Regietheater » presque aussi bien que les Allemands, mais sans chercher la provocation facile. Si on rit souvent, c’est parce que le propos de l’œuvre s’y prête et que Villazon excelle à montrer la cruauté qui se concentre sur la nymphe.

Solistes et choristes sont vêtus comme les élèves d’un collège anglais huppé : blasers pour tous, bermudas soigneusement repassés pour les hommes, jupes plissées et chaussettes blanches pour les femmes. Car le milieu scolaire, nous explique Villazon, est celui où s’incarnent aujourd’hui les hiérarchies et les comportements décrits dans le livret. Les dieux sont les stars de l’école, tandis que Platée fait partie des élèves « de base », ceux contre lesquels peut s’exercer le harcèlement le plus gratuit et le plus cruel.

Grâce à un choix de chanteurs assez jeunes, la transposition se révèle crédible. Platée, les cheveux turquoise, est une collégienne transgenre qui s’assume comme femme, mais que son entourage force à s’habiller en homme. Dès qu’elle se retrouve seule, elle sort de son sac à dos une jupe et des poupées, versions modernes et flashy des sages Barbie et Ken. Chaque poupée est flanquée d’un double de taille humaine ; sept danseurs entourent et protègent Platée, tandis que six autres (en uniforme scolaire) figurent les aquilons qui, eux, la rudoient.

Rolando Villazon signe une direction d’acteurs soignée. Seul défaut de sa lecture : l’accumulation d’actions parallèles verse parfois dans la surcharge. On se serait, par exemple, bien passé des deux toilettes de chantier – l’une pour les dames, l’autre pour les messieurs –, auxquelles on refuse successivement l’accès à Platée avec force gestes évocateurs.

NICOLAS BLANMONT

PHOTO ©  SEMPEROPER DRESDEN/LUDWIG OLAH

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