Opéra Comédie, 8 mai
Lente ouverture du rideau sur le plateau entièrement vide, posé en légère inclinaison sur celui de la scène, et baigné d’une douce lumière. Oberon monte du fond, comme bientôt tous les nombreux elfes, vêtus semblablement d’un strict costume gris, avec nœud papillon, et cheveux noirs plaqués sur le crâne. Leur roi porte haut-de-forme, comme Puck, qui fait une apparition spectaculaire en tombant des cintres, tête à l’envers.
Celui-ci ne cessera ensuite d’évoluer gracieusement dans l’espace, porté par deux minces filins. En short long, et avec chaussettes noires montantes, cette figure étonnante compose un lutin très « british » que complète bien une diction retenue, et sans espiègleries inutiles, ironique quand il le faut, mais touchant aussi dans sa bonne volonté maladroite : le comédien et acrobate Nicholas Bruder, dans une remarquable performance, contribue pour beaucoup au climat poétique.
Pour sa première réalisation de metteur en scène « en résidence » à Montpellier, l’Américain Ted Huffman joue le minimalisme, mais avec une élégance et une sûreté qui subjuguent, dans la direction d’acteurs notamment, pour occuper magistralement son large plateau, seulement parcouru, à plusieurs reprises, par de fines et lentes vapeurs.
Il est admirablement servi par son équipe. Comme seuls éléments de décor au I, Marsha Ginsberg pose deux hautes échelles à barreaux minces, que viennent coiffer deux amusants nuages stylisés, tombés des cintres : un tableau très « magrittien », que viendra compléter en contrepoint, plus avant, une troisième échelle plus grande, soutenant la lune. C’est peu, mais la justesse de placement et de proportion est souveraine.
Dans le même esprit, D.M. Wood donne des éclairages en demi-teintes grises et roses, modulées avec la même science, ou passant d’un blanc intense, projeté en douche, à des lumières rasantes, porteuses d’ombres inquiétantes. Quant à Annemarie Woods, elle décline toute une gamme de couleurs (mauve, rose, ocre, brun) dans ses très beaux costumes, complétant un ensemble d’un raffinement et d’une suavité rares.
Ted Huffman réussit à nous surprendre encore avec sa représentation théâtrale du III, Pyramus et Thisbe étant figurés par deux monumentales marionnettes à tiges, tandis que les acteurs de la troupe d’artisans s’activent en d’inénarrables et irrésistibles maillots de bain « Belle Époque », sur le plateau recouvert d’un tapis d’un rouge intense… Nonobstant la force des affrontements dramatiques du II, la production baigne ainsi dans une aura surréalisante, merveilleusement accordée à l’esprit de l’œuvre.
Le sans-faute de la distribution parfait notre bonheur. Le contre-ténor britannique James Hall est un Oberon de volume limité, mais d’une impeccable pureté de ligne. La soprano canadienne Florie Valiquette lui oppose une Tytania presque volcanique, mais d’une grande séduction, vocale et scénique.
Les couples des amants sont d’un égal talent : l’Helena vive et touchante de Marie-Adeline Henry, rivalisant d’ardeur avec la toujours bouillante Roxana Constantinescu (remplaçant Virginie Verrez en Hermia), et le Lysander de Thomas Atkins n’ayant rien à envier au superbe Demetrius de Matthew Durkan.
Troupe homogène d’artisans encore, où l’on voudra distinguer pourtant le très persuasif Quince de Nicholas Crawley et le superlatif Bottom de Dominic Barberi, basse puissante et acteur de premier plan. À côté de la parfaite Hippolyta de Polly Leech, léger bémol seulement pour le Theseus nettement plus ordinaire de Richard Wiegold.
L’Américain Tito Muñoz dirige les impeccables solistes de l’Orchestre National Montpellier Occitanie, avec parfois une lenteur qui ne messied pas à l’esprit de la production. Enfin, on ne saurait trop faire d’éloges pour la cinquantaine de chanteurs du Chœur Opéra Junior, qui contribuent pour beaucoup, par leur nombre inusuel comme par leur qualité, à donner à l’ensemble son parfum de rêve.
Cette superbe réussite est présentée par l’Opéra Orchestre National Montpellier, avant le Deutsche Oper de Berlin, coproducteur, où elle sera reprise en 2020 : un honneur très largement mérité.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © MARC GINOT