Grand Théâtre Massenet, 5 mai
De la Cendrillon de Nicolas Isouard, dit aussi Nicolo (1773-1818), créée à l’Opéra-Comique, le 22 février 1810, nous ne connaissions personnellement que la partition chant-piano et l’intégrale discographique réalisée sur le vif à Moscou, en 1998, sous la baguette de Richard Bonynge (2 CD Olympia).
La lecture de l’une, l’écoute de l’autre, nous avaient convaincu de deux choses : d’abord que le livret de Charles-Guillaume Étienne, tiré du célèbre conte de Perrault, était l’un des meilleurs jamais conçus pour un « opéra-comique » ; ensuite que la musique du compositeur d’origine maltaise, venu faire carrière à Paris, à la toute fin du XVIIIe siècle, était de bout en bout charmante.
C’est dire l’impatience avec laquelle nous attendions la recréation de cette Cendrillon, coproduction entre l’Opéra de Saint-Étienne et le Palazzetto Bru Zane, rien ne remplaçant l’expérience de la scène pour juger des mérites d’une œuvre. Elle ne nous a pas déçu, grâce à une direction musicale, une distribution vocale et une réalisation visuelle en parfait accord avec les exigences de cet « opéra-féerie ».
Il n’y a évidemment rien de révolutionnaire dans la musique d’Isouard, inscrite dans la longue tradition de l’« opéra-comique » français, initiée dans la première moitié du XVIIIe siècle. Pour tout dire, elle ressemble à ce qu’un Boieldieu ou un Dalayrac pouvaient produire à la même époque. Mais elle est décidément agréable, orchestrée avec science et, surtout, constamment à l’unisson de la progression dramatique du livret et de l’état d’esprit des personnages.
On s’en rend d’autant mieux compte que Julien Chauvin dirige remarquablement une phalange composée de jeunes, voire très jeunes instrumentistes. Encadrée par les solistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, cette « Académie d’orchestre du CRR de Saint-Étienne et du CRD du Puy-en-Velay » a fait preuve d’une maturité étonnante, dans une partition rien moins que facile.
Original, poétique, drôle mais jamais vulgaire (on comprend que Rossini et Jacopo Ferretti s’en soient directement inspirés pour La Cenerentola, en 1817 !), le livret est mis en scène par Marc Paquien avec autant d’intelligence que de fluidité. Installé sur une tournette, le décor unique d’Emmanuel Clolus représente une maison, dont on découvre tour à tour la façade bleu vif, découpée par endroits comme par des ciseaux d’enfants, et l’intérieur, avec ses renfoncements, balcons et petits escaliers.
Il n’en faut pas davantage pour que l’action se déroule sans temps mort, soutenue par une direction d’acteurs vive et affûtée, qui réussit à faire percevoir, derrière les stéréotypes, la vérité profonde des caractères. En cela, Marc Paquien est aidé par les costumes colorés de Claire Risterucci, d’un fini impeccable dans la réalisation (bravo aux ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne !), ainsi que d’une élégance et d’une pertinence dramaturgique sans faille.
Ce délicieux spectacle, qui accorde également toute sa place à la féerie (ravissante image de Cendrillon s’envolant sur une citrouille sous des flocons de neige !), bénéficie enfin d’une équipe de chanteurs-acteurs totalement soudée. Son premier mérite est de dire le texte avec une netteté et un naturel parfaits, aussi bien dans les airs que dans les longs dialogues parlés, où les solistes de l’intégrale Olympia s’avéraient catastrophiques.
Comédiens de formation, Christophe Vandevelde et Jean-Paul Muel en font des tonnes en Dandini et Baron de Montefiascone (Don Magnifico dans La Cenerentola), mais ils savent s’arrêter avant que cela ne devienne lassant. Du coup, ils confèrent une verve exceptionnelle aux scènes parlées, en faisant oublier leurs limites dans le peu qu’ils ont à chanter.
Les cinq autres personnages exigent, en revanche, de vraies performances vocales, en particulier Clorinde et Tisbé, les sœurs rivales, auxquelles Isouard réclame à la fois virtuosité et poésie. Jeanne Crousaud et Mercedes Arcuri ne manquent ni de l’une, ni de l’autre, en y ajoutant d’épatants dons pour la comédie. Quant à Anaïs Constans, elle campe une Cendrillon de rêve, dans un emploi où la rondeur du timbre et l’émotion du phrasé comptent davantage que les prouesses pyrotechniques.
Côté messieurs, le très jeune Riccardo Romeo rend pleine justice au Prince Ramir, rôle ne présentant pas les mêmes difficultés que le Don Ramiro rossinien. En Alidor, Jérôme Boutillier, de son côté, confirme qu’il est désormais l’un des meilleurs barytons français sur le circuit, auquel toutes les grandes maisons d’opéra doivent ouvrir leurs portes.
Le Palazzetto Bru Zane, qui a eu l’idée de recréer cette Cendrillon, va maintenant la faire tourner. Des reprises sont annoncées à Caen, Massy ou Paris (Athénée) et l’on espère que d’autres théâtres, au vu de la réussite, se joindront à l’aventure. Julien Chauvin restera au pupitre, mais avec son orchestre (Le Concert de la Loge) et une distribution légèrement modifiée. Quelques brefs passages, coupés à Saint-Étienne, retrouveront leur place. Les chœurs, en revanche, écartés dès le départ, en raison du format requis par les coproducteurs, manqueront toujours à l’appel.
Musicalement, ils n’ont certes rien d’inoubliable, mais leur présence permet de mieux saisir la physionomie d’ensemble de l’ouvrage. Raison pour laquelle nous encourageons vivement le Palazzetto Bru Zane à enregistrer, dans sa précieuse collection de livres-disques, une intégrale de studio de Cendrillon, cette fois avec les chœurs !
RICHARD MARTET
PHOTO © OPÉRA DE SAINT-ÉTIENNE/CYRILLE CAUVET