Le Châtelet est décidément une maison à part dans le panorama des théâtres parisiens accordant une place à l’art lyrique. Le mandat de Jean-Luc Choplin, entre 2006 et 2016, avait déjà été marqué par une réduction du nombre des opéras sur l’affiche, au profit de spectacles cultivant le mélange des genres et, surtout, d’une exploration de l’univers de la comédie musicale dans ce qu’elle pouvait offrir de meilleur. Celui de Ruth Mackenzie et Thomas Lauriot dit Prévost, ses nouveaux directeurs, qui sera officiellement inauguré en septembre prochain, dans un bâtiment entièrement rénové après deux ans et demi de travaux, va encore plus loin.
D’opéra dans le sens traditionnel du terme, d’abord, il n’y en aucun de prévu au cours de la saison 2019-2020. Le seul titre qui s’en rapproche, en effet, est… un oratorio ! Mais comment ne pas applaudir au choix de Saul de Haendel, dans la remarquable mise en scène de Barrie Kosky, créée à Glyndebourne, en 2015 ? Tous ceux qui ont vu cette production, in loco ou en DVD (Opus Arte), ont été impressionnés par sa force.
Pour le reste, le mélange des genres est de rigueur : arts du cirque, marionnettes, musique dite « classique », « du monde » et contemporaine pour Parade, le spectacle d’ouverture, conçu autour du célèbre ballet d’Erik Satie, créé au Châtelet, en 1917 ; théâtre parlé, rap et hip-hop pour Les Justes, « tragédie musicale » d’Abd Al Malik d’après la pièce d’Albert Camus ; film et oratorio pour Last Whispers, Vanishing Voices de la photographe Lena Herzog ; lecture de textes et chansons pour Perle noire : méditations pour Joséphine, hommage de la soprano Julia Bullock à Joséphine Baker, mis en scène par Peter Sellars… sans oublier Les Troyennes, adaptation musicale et chorégraphique de la tragédie -d’Euripide, mêlant deux styles de musique -coréenne (le changgeuk et la K-pop).
La danse, comme par le passé, sera très présente, entre Pina Bausch, Merce Cunningham, William Forsythe… et l’on saluera le retour, pour les fêtes de fin d’année, de l’époustouflant An American in Paris, adaptation scénique du légendaire film de Vincente Minnelli, immense réussite du mandat de Jean-Luc Choplin, en 2014.
Une excellente nouvelle, pour finir : le génial Teodor Currentzis sera en résidence au Châtelet, à partir de cette saison 2019-2020, avec MusicAeterna, l’éblouissant ensemble qu’il a fondé voici plus de dix ans, qui compte parmi les meilleurs au monde à l’heure actuelle. Pas d’opéra, l’année prochaine (on se précipitera quand même sur les Requiem de Mozart et Fauré), mais on en annonce plusieurs dans le futur.
En même temps que le Châtelet, la Philharmonie de Paris levait le voile sur sa prochaine saison, qui me semble proposer encore plus d’opéras que les précédentes ! Je ne peux que m’en réjouir, surtout que les affiches sont alléchantes : Valery Gergiev et les forces du Mariinsky pour Iolantha et Parsifal ; Tugan Sokhiev et celles du Bolchoï pour Mazeppa ; le même Sokhiev, -l’Orchestre de Paris, Karine Deshayes, Jean-François Borras et Ludovic Tézier pour La Damnation de Faust ; le même Orchestre de Paris, Simone Young, Elza van den Heever, Simon O’Neill et Gerald Finley pour Fidelio ; Mikko Franck, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Camilla Nylund et Matthias Goerne pour Salome ; William Christie, Le Jardin des Voix et Les Arts Florissants pour La finta giardiniera…
L’Opéra National de Paris et, surtout, le Théâtre des Champs-Élysées ayant également annoncé de nombreux opéras en version de concert, une conclusion s’impose plus que jamais : ce genre, jadis réservé à des titres rares et/ou à des aréopages de vedettes impossibles à réunir pour de longues séries de représentations, fait autant fureur chez les programmateurs (certains de remplir leur salle sans supporter les coûts de décors et de costumes) que chez les spectateurs.
Parmi ceux-ci, en effet, beaucoup sont las de la laideur et de l’absence de cohérence des « relectures » scéniques qu’on leur impose et, tout en sachant que l’opéra est aussi du théâtre, préfèrent écouter sans avoir à fermer les yeux !
Une leçon à méditer pour tous les directeurs de théâtre…
RICHARD MARTET
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