Teatro Regio, 24 mars
Né à Parme, le 1er juin (ou juillet, selon les sources) 1771, mort à Paris, le 3 mai 1839, Ferdinando Paër est l’un de ces musiciens italiens qui firent le pont entre le classicisme de la fin du XVIIIe siècle et les nouvelles aspirations des premières décennies du XIXe. Formé dans sa ville natale, puis à Naples, il commença sa carrière dans les théâtres de la Péninsule, avant de se fixer à Vienne, entre 1797 et 1801, où il fut notamment le professeur de la jeune archiduchesse Marie-Louise, future épouse de Napoléon Ier.
Après un passage à Dresde, il devint l’un des compositeurs préférés de l’empereur des Français, qui le nomma « maître de la Chapelle de la cour de Sa Majesté Impériale », en 1807. À Paris, Paër exerça ensuite les fonctions de directeur de l’Opéra-Comique, puis, à partir de 1812, du Théâtre-Italien. Il enseigna également au Conservatoire, de 1834 à 1837.
Agnese fut composée pendant l’été 1809, à un moment où Paër, en congé de la cour, séjournait à Parme, chez sa mère. Ce « dramma semiserio » fut représenté le 3 octobre de la même année, dans le théâtre privé que le comte Fabio Scotti avait fait construire dans sa villa des environs de la ville.
Le succès fut immédiat dans toute l’Europe (Milan, Vienne, Londres, Paris, Moscou…), l’ouvrage recueillant de vifs compliments de la part de Stendhal, Berlioz et Chopin, entre autres. Puis il tomba dans l’oubli au milieu du XIXe siècle, jusqu’à sa résurrection à Lugano, en 2008, en version de concert.
Le livret de Luigi Buonavoglia tourne autour de deux thèmes, dont la force dramatique inspirera de nombreux successeurs de Paër : la folie et l’amour paternel. Uberto, que la fuite de sa fille (Agnese) avec son amant (Ernesto) a fait basculer dans la démence – au point qu’il la croit morte –, retrouve la raison quand la jeune femme revient à ses côtés, dans l’asile où il est soigné, en implorant son pardon.
La musique est globalement de haut niveau, ses deux climax s’avérant les scènes de folie d’Uberto. On le mesure d’autant mieux que Diego Fasolis, qui aime de toute évidence cette partition, la dirige avec une sensibilité exquise, à la tête d’un orchestre du Teatro Regio aussi raffiné qu’attentif.
On est ainsi sensible à la mélancolie de certaines mélodies annonçant clairement Bellini, tout autant qu’à la dimension bouffe et brillante des séquences dans lesquelles apparaît le personnage de Don Pasquale (le mélange des genres, rappelons-le, est l’un des traits caractéristiques du style « semiserio »). On salue également la beauté des soli instrumentaux et l’intense participation des chœurs, préparés par Andrea Sacchi.
Précisons que cette nouvelle production turinoise, qui marque la recréation scénique d’Agnese dans les temps modernes, se joue dans l’édition critique de Giuliano Castellani. Elle inclut notamment les ajouts effectués par Paër, pour les reprises parisiennes de 1819 et 1824, parmi lesquels un duo entre Agnese et Ernesto, expressément écrit à l’intention de Giuditta Pasta.
La soprano espagnole Maria Rey-Joly évolue, avec beaucoup d’aisance, dans l’écriture du rôle-titre, dont la virtuosité anticipe celle du Rossini napolitain, tout en sachant apporter la dose d’émotion nécessaire à sa prière de l’acte II (« Il padre, o ciel, mi rendi »).
Le chant lumineux et flexible du ténor uruguayen Edgardo Rocha convient à Ernesto, emploi qui annonce clairement, là encore, le futur style rossinien. Tant sa romance avec clarinette obligée que son duo avec Agnese emportent l’adhésion.
Le baryton autrichien Markus Werba est un excellent Uberto, le reste de la distribution n’appelant pas davantage de reproche. Une mention pour Filippo Morace, comme toujours déchaîné dans l’un de ces personnages bouffes qu’il affectionne, pour Lucia Cirillo, Carlotta très présente, et pour Giulia Della Peruta, piquante Vespina.
Leo Muscato et son équipe, enfin, transforment Agnese, dont nous ignorions tout jusqu’ici, en un savoureux petit chef-d’œuvre. Le décor de Federica Parolini se compose d’énormes boîtes en fer-blanc renfermant onguents et médicaments, comme on en trouvait dans les pharmacies, au début du siècle dernier, qui bougent et s’ouvrent pour dévoiler autant de pièces meublées, avec un sens aigu du détail. Les costumes de Silvia Aymonino, qui renvoient à la même période, sont tout aussi réussis, les lumières d’Alessandro Verazzi obtenant leur effet le plus saisissant à l’acte II.
Salle comble et gros succès pour tous au rideau final.
SERGIO ALBERTINI
PHOTO © TEATRO REGIO TORINO/EDOARDO PIVA