Théâtre du Capitole, 4 avril
Avec cette nouvelle production d’Ariane et Barbe-Bleue, suivant d’un mois à peine celle d’Ariadne auf Naxos (voir O. M. n° 149 p. 60 d’avril 2019), le Théâtre du Capitole réaffirme ses hautes ambitions. Ce n’est pourtant pas la voie de la facilité qu’a choisie Christophe Ghristi, son directeur artistique, en faisant entrer au répertoire de la maison l’unique opéra de Paul Dukas. Celui-ci, en effet, exige la présence d’une cantatrice et d’un orchestre capables d’en exprimer tout à la fois la force et le mystère, ainsi qu’une mise en scène dont les hardiesses ne viendront pas contrecarrer les volontaires ambiguïtés du récit.
Sur ce dernier point, l’approche de Stefano Poda a au moins le mérite d’éviter une « relecture » au goût du jour, sur fond de luttes féministes ou de syndrome de Stockholm. Ceux qui connaissent déjà ses réalisations à l’opéra, en particulier Turandot au Teatro Regio de Turin (en DVD chez Cmajor), ne s’étonneront pas de retrouver ici un monde presque uniformément blanc, dans lequel des personnages somptueusement vêtus se déplacent à pas mesurés, avec une gestuelle hiératique dont on ne sait, au juste, si elle appartient à un paradis artificiel, aux limbes ou à quelque enfer privé de flammes.
Autant d’images souvent somptueuses, que l’on peut rapprocher de certains tableaux symbolistes aux alentours de 1900. Cette référence dans le temps s’accorde plutôt bien avec la musique de Dukas et, mieux encore, avec la prose si particulière de Maeterlinck, l’ouvrage ayant été créé en 1907, à Paris.
Le décor unique se limite à une imposante façade, recouverte d’étranges sculptures anthropomorphes et percée de sept portes, reliées par d’étroits escaliers. Au II, l’enfermement des épouses est concrétisé par un labyrinthe translucide (juste référence à la Crète de Minos), dans lequel les prisonnières semblent condamnées à errer sans fin.
Le défaut majeur d’une approche aussi résolument esthétisante est de gommer ce que ce « conte musical » porte en lui de couleurs, de chaleur, de tendresse. Sous sa splendeur de surface, elle fige le récit plus qu’elle n’en épouse les nuances.
Heureusement, l’orchestre est là pour nous faire entendre ce que nos yeux ne devinent qu’en partie. Pascal Rophé replace justement la partition dans son cadre français, sans insister sur un voisinage wagnérien trop imposant. Sous sa battue, l’Orchestre National du Capitole, porté par un souffle continu et animé par un puissant élan dramatique, s’accorde idéalement avec les voix des choristes et, plus encore ici, avec celles des solistes qui, à aucun moment, n’ont à lutter contre les déferlements de la fosse.
Ariane se soit d’être unique, inoubliable. Tel est le cas de Sophie Koch qui, au terme d’un travail que l’on imagine particulièrement assidu, trouve ici l’un des plus grands rôles de sa carrière. Par les sortilèges savants d’une voix à son acmé, le texte et les notes sont là, souverainement ciselés, dans une langue héritière du plus pur chant français. Bien que gênée parfois par le cérémonial rigide imposé par la mise en scène, son Ariane sait également exprimer une très large palette de sentiments, avec un fond de détermination ne devenant jamais agressif.
Même si sa présence peut sembler plus modeste (n’est-elle pas vêtue de noir ?), Janina Baechle compose une Nourrice tout aussi émouvante, accordant la place qu’il faut au poids des mots et à l’expression d’un somptueux registre grave. Quelques phrases suffisent à Vincent Le Texier pour incarner un Barbe-Bleue de très haute lignée.
Les rôles des précédentes épouses ont été distribués avec le meilleur discernement. Luxe suprême, le personnage muet d’Alladine est confié à Dominique Sanda, dont la seule présence suffit à faire revivre quelques images au grand écran qui ne quitteront jamais la prison de nos mémoires.
PIERRE CADARS
Représentations les 7, 9, 12 et 14 avril.