Salle Favart, 30 mars
Le Postillon de Lonjumeau, c’est, dans la mémoire collective des amateurs d’opéra, un titre se résumant à un air, cette « Ronde » du premier acte, avec son fameux contre-ré, susceptible d’effrayer un interprète en mal d’aigu.
Depuis des lustres, l’ouvrage était absent des scènes parisiennes et, surtout, de cet Opéra-Comique où il avait triomphé, le 13 octobre 1836, selon les dires mêmes de son auteur, Adolphe Adam, mais qui l’ignorait depuis 1894, alors que sa popularité s’était maintenue à l’étranger, en Allemagne, notamment. En France, on se rappelle l’avoir entendu en 2004, à Longjumeau même, dans une production venue de Dijon, avec Bruno Comparetti, Isabelle Poulenard et Laurent Alvaro ; mais on doit se contenter d’un seul enregistrement officiel en français.
Ce retour est donc le bienvenu, dans le cadre d’un devoir patrimonial qui est l’une des missions de la Salle Favart. Sans doute le livret d’Adolphe de Leuven et Léon Lévy Brunswick fera-t-il sourire ceux pour lesquels l’art lyrique ne doit pas être qu’un divertissement. Sauf que, comme toujours, il en dit long sur les goûts d’une époque, et que, si l’on passe sur ses invraisemblances, il atteint son but qui est, justement, de divertir – ne lui en demandons pas plus.
Quant à la musique, elle est délicieuse, bien troussée, fraîche et joyeuse, dénuée de la moindre prétention ; brillante pour l’orchestre, virtuose pour les chanteurs, tout sauf facile. Un hommage discret au XVIIIe siècle – Adam était un fervent admirateur de Rameau –, au ténor Jélyotte, et un pas décisif dans ce genre si français de l’« opéra-comique ».
Sébastien Rouland, au pupitre de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, la prend pour ce qu’elle est, et la dirige avec une gaieté communicative, lui conservant son charme primesautier, sa tendresse, son allant. Le chœur Accentus fait preuve de son professionnalisme habituel.
Le temps d’un très court prologue explicatif bienvenu, le comédien Yannis Ezziadi croque un Louis XV que ne renierait pas un caricaturiste. Julien Clément donne un relief suffisant au comparse Bourdon et Laurent Kubla chante Biju, le forgeron qui deviendra choriste sous le nom d’Alcindor, d’une voix sonore. L’excellent Franck Leguérinel est un Marquis de Corcy désopilant ; fidèle à ses habitudes, ce fin musicien ne tombe pas dans la charge grossière.
Dans les mois qui viennent, on risque d’entendre souvent parler de Florie Valiquette, vocalement très sûre et, de surcroît, ravissante ; gracieuse et malicieuse, trouvant sans peine les accents populaires de Madeleine, la soprano canadienne se transforme en Madame de Latour avec classe, unissant l’humour au charme.
Chapelou, postillon devenu chanteur d’opéra à succès sous le nom de Saint-Phar, c’est le ténor américain Michael Spyres, déjà apprécié en ces lieux dans La Muette de Portici, Le Pré-aux-Clercs et La Nonne sanglante. Son aisance dans le répertoire français est bien connue, même si son approche encore sommaire de la langue le gêne dans les dialogues parlés. Le timbre est toujours plein et sonore, la maîtrise technique sans faille… ou presque, car, dans la fameuse « Ronde », il attrape de justesse le contre-ré et retombe à côté de la note suivante.
Sans doute, en ce soir de première, est-ce l’effet du trac et de la conscience que tout le monde le guette à cet endroit. Ne lui en voulons pas ; la suite le montre brillant, enjoué, sincère, prêt à brandir à nouveau le fouet d’un postillon qu’on est bien aise de réentendre ainsi.
Mais qui est donc la plantureuse créature revêtue d’une énorme robe à panier, coiffée d’une haute perruque blanche surmontée de plumes ? Michel Fau, bien sûr, qui n’a pas hésité à revêtir les atours de Rose, la suivante, un rôle parlé. Comme on pouvait s’y attendre, il est hilarant.
Ce même Michel Fau, qui demande à ses comédiens un jeu décalé juste ce qu’il faut, signe une mise en scène débridée, travail d’un hyper-doué amoureux du théâtre et des acteurs. Les décors, qui rendent hommage aux toiles peintes ornées des couleurs les plus vives, sont dus à l’un de ses complices habituels, Emmanuel Charles, et ils contribuent à la magie du spectacle, comme les costumes de Christian Lacroix, un bonheur pour les yeux.
On est au théâtre, certes, et l’on peut s’y permettre toutes les outrances, à condition d’avoir du goût – c’est le cas ici. Adam peut être satisfait ; son retour à la maison mère s’effectue en fanfare.
MICHEL PAROUTY
PHOTO © STEFAN BRION
Représentations les 3, 5, 7 & 9 avril.