Adrian Sampetrean (Filippo II)
Leonardo Caimi (Don Carlo)
Tassis Christoyannis (Rodrigo, marchese di Posa)
Wenwei Zhang (Il Grande Inquisitore)
Patrick Bolleire (Un frate)
Elza van den Heever (Elisabetta di Valois)
Keri Alkema (La Principessa d’Eboli)
Rihab Chaieb (Tebaldo)
Frédéric Reussard (Il Conte di Lerma)
Thomas Bettinger (Un araldo reale)
Anaïs Constans (Una voce dal cielo)
Paul Daniel (dm)
Charles Roubaud (ms)
Emmanuelle Favre (d)
Katia Duflot (c)
Marc Delamézière (l)
Virgile Koering (v)
LLe retour d’Alain Lombard pour diriger un ouvrage lyrique à Bordeaux, vingt ans après son départ du poste de directeur de l’Opéra, faisait figure d’événement, surtout qu’il devait s’agir de l’avant-dernière apparition en fosse de sa carrière (voir O. M. n° 109 pp. 20-23 de septembre 2015). Las, le chef français, rattrapé par des problèmes de santé récurrents, a dû annuler deux semaines avant la première, contraignant l’Opéra National à lui trouver deux remplaçants : son assistant, Pierre Dumoussaud, pour les deux dernières représentations, et Paul Daniel, directeur musical de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, pour les deux premières.
On imagine que celui-ci n’a pas eu la tâche facile, Alain Lombard ayant déjà répété pendant quinze jours avant de déclarer forfait. Prenant les commandes du navire à mi-parcours, le chef britannique l’a néanmoins mené à bon port avec un métier infaillible, servi par un orchestre aux sonorités somptueuses, admirablement mises en valeur, comme toujours, par l’exceptionnelle acoustique de l’Auditorium. Tout juste avons-nous regretté quelques décalages avec les chœurs, très bien préparés par Salvatore Caputo, en particulier dans le tableau de l’Autodafé.
Jouant décidément de malchance, l’Opéra de Bordeaux a également perdu son Don Carlo en cours de route. Souffrant, l’Uruguayen Carlo Ventre a été remplacé, avant le début des répétitions, par l’Italien Leonardo Caimi, qui a eu le mérite de tenir la soirée. Sachant la difficulté de trouver aujourd’hui un ténor capable de soutenir cette tessiture meurtrière, surtout au pied levé, on ne saurait reprocher à l’Opéra National de l’avoir engagé.
On se demande, en revanche, quelle mouche pique ce joli lirico, au timbre séduisant et à l’aigu facile, de se lancer dans le spinto. À peine dix ans après ses débuts en Alfredo Germont, le voici distribué en Don Carlo, Don José, Radamès et Samson ! Fatigué dès la fin du I (l’opéra est donné dans sa version -italienne en quatre actes), il jette ses dernières cartouches à l’Autodafé et aborde le duo final avec Elisabetta sans aucune réserve de souffle, ce qui le conduit inévitablement à détonner.
Par chance, le reste de la distribution ne procure que des satisfactions, même si chacun, dans le détail, appelle de minimes réserves. Il est intéressant, par exemple, de confier Eboli à une vraie soprano, surtout quand il s’agit de l’Américaine Keri Alkema, grand spinto au timbre prenant et à l’aigu glorieux, qui nous change de tant de mezzos à la peine sur les si bémol de « O don fatale ». Sauf que son bas médium et son grave, tout en étant parfaitement audibles, n’ont pas la présence, ni les reflets sombres que l’on attend dans le rôle (ceux, justement, que possèdent les mezzo-sopranos !).
De même, Adrian Sampetrean est davantage un baryton-basse qu’une basse, ce qui, surtout à 32 ans, retire un zeste de crédibilité à son Filippo II, y compris sur le plan physique, puisqu’on n’a pas cherché à le vieillir (on dirait le frère cadet de son fils !). En même temps, sa voix est tellement belle, son legato tellement bien conduit, son aigu tellement facile qu’on lui pardonne sans peine son manque de résonance dans l’extrême grave.
Comptant parmi les barytons verdiens les plus lyriques, Posa convient idéalement à Tassis Christoyannis, qui y déploie une arrogance dans l’émission et une fierté dans l’accent parfaitement en situation. Wenwei Zhang possède toutes les notes du Grand Inquisiteur et, à 36 ans, une voix rayonnante de santé. Un peu trop, peut-être, pour ce vieillard décrit comme nonagénaire dans le livret, mais faut-il vraiment le regretter ? Les comprimari sont bons, avec une mention pour le Moine sonore et musical de Patrick Bolleire, et l’aérienne Voix d’en haut d’Anaïs Constans.
Elza van den Heever, enfin, trouve en Elisabetta l’un de ses plus beaux rôles. Jeune, altière, tirant le meilleur parti de sa haute taille et des splendides robes d’époque dessinées par Katia Duflot, la soprano d’origine sud-africaine, française depuis peu, incarne une reine d’Espagne plus vraie que nature. La voix n’est pas en reste : puissante, rayonnante dans l’aigu, capable des forte les plus percutants, comme des piani les plus subtils. Seul (petit) bémol : la diction manque de netteté, ce que l’émotion du chant ne fait pas complètement oublier.
L’Auditorium ne possédant ni cintres, ni dégagements, Charles Roubaud met en scène Don Carlo comme un concert en costumes : aucun élément de décor, pas d’accessoires, des projections sur la paroi en hémicycle (têtes de gisants pour le monastère, haies verdoyantes pour le deuxième tableau du I, intérieur d’une cathédrale richement décorée pour -l’Autodafé, vanité pour le cabinet de travail du roi…), les chœurs en surplomb. La direction d’acteurs est minimale, mais efficace, l’impression positive laissée par l’ensemble reposant, avant tout, sur la magnificence des costumes et la beauté des images vidéo signées Virgile Koering.
Une très belle ouverture de saison pour l’Opéra National de Bordeaux et une réussite de plus à porter au crédit de Thierry Fouquet, qui quittera ses fonctions de directeur, l’an prochain, pour laisser la place à Marc Minkowski.
RICHARD MARTET