Opéra Confluence, 31 décembre
Cette nouvelle production, mise en scène par Nadine Duffaut, rend parfaitement justice à l’aspect fastueux de la deuxième version d’Orphée aux Enfers (1874), conçue par Offenbach comme un « opéra-féerie » en quatre actes, très différent en esprit de l’édition originale de 1858, en deux actes.
Autant la première version était resserrée et centrée sur le concept parodique, autant la seconde fait « riche » : nombreux changements à vue, ensembles étoffés, nouveaux personnages, présence d’un chœur et d’un orchestre d’enfants… sans oublier l’ajout d’intermèdes chorégraphiques, ici vivement dirigés par Éric Belaud et dansés avec virtuosité par le Ballet de l’Opéra Grand Avignon.
Le spectateur en prend donc plein les yeux, mais avec intelligence et fantaisie. Dès l’Ouverture, Nadine Duffaut nous montre une place de village, avec une charcuterie et son charcutier, ainsi qu’un salon de coiffure. Apparaissent alors différents personnages venus du bon peuple de nos régions, personnifié par les librettistes, Crémieux et Halévy, sous les traits de l’Opinion publique, véritable moteur de l’intrigue. Dans le bal infernal du dernier acte, Eurydice, travestie en chanteuse de cabaret berlinois, est entourée de Louis XIV ou de Charlot, habillés par une Katia Duflot à l’imagination débridée.
À défaut de fidélité à la lettre d’Orphée aux Enfers, cette mise en scène respecte l’esprit burlesque et l’irrésistible verve du théâtre d’Offenbach, ainsi que sa critique acide des faux-semblants de la société. Dommage, simplement, qu’il n’y ait pas de surtitrage à l’Opéra Confluence. Outre que la diction des chanteurs laisse souvent à désirer, surtout dans les numéros musicaux, le livret déborde de clins d’œil mythologiques éloignés du spectateur d’aujourd’hui. Ainsi perçoit-on imparfaitement les paroles du « Rondeau des métamorphoses » : « À Danaé, ton adorée, en pluie, un jour, tu te montras ; mais cette pluie était dorée, ça lui plut et tu l’adoras. »
Dans une distribution inégale, le rôle le mieux servi est celui d’Eurydice. Julie Fuchs s’y montre brillante, notamment dans les airs à vocalises, avec l’atout supplémentaire d’un phrasé idéalement adapté aux délicieuses mélodies que lui a confiées Offenbach. Orphée est moins bien servi, mais son seul morceau d’importance, le duo « du concerto », nécessite un ténor de grand talent. Samy Camps est l’homme de la situation, dont le charme égale celui de sa partenaire.
Également écrit pour un ténor, Aristée/Pluton a été étoffé dans la seconde version, avec ce curieux « Air en prose », aux paroles empruntées à Jules Janin qui, en 1858, s’était scandalisé de l’esprit parodique d’Offenbach. Florian Laconi, qui fait preuve d’un formidable tempérament comique, n’est pas un luxe pour ces trois minutes de diction bien comprise.
Le baryton Francis Dudziak est peut-être un rien léger pour Jupiter, mais il possède le sens du mot et un style de grande classe. Enfin, la mezzo Sarah Laulan ne manque pas d’allure dans l’Opinion publique.
En fosse, Dominique Trottein, à la tête du très solide Chœur de l’Opéra et de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, trouve le swing adéquat, dans les moments les plus truculents comme les plus tendrement mélodiques.
Coproduit avec les Opéras de Reims et Marseille, cet Orphée aux Enfers est de bon augure pour la suite des célébrations du bicentenaire de la naissance d’Offenbach.
JACQUES BONNAURE
PHOTO : © CÉDRIC DELESTRADE