Operan, 29 novembre
« Écologiquement durable » : c’est ainsi que communique l’Opéra de Göteborg (Göteborgs Operan) pour qualifier la Tétralogie qu’il est en train de produire. Le Prologue vient de voir le jour, les trois Journées étant ensuite prévues au rythme d’une par an (Götterdämmerung, en 2021, coïncidera avec le 400e anniversaire de la deuxième ville de Suède).
Écologiquement durable, parce que faisant appel à des matériaux biodégradables et recyclés pour les décors et les costumes, à des lumières à basse consommation pour l’éclairage, etc., jusqu’à inciter le public à venir au théâtre en vélo ou en empruntant les transports en commun. Il faut dire que l’Opéra, magnifique vaisseau inauguré en 1994, est déjà fortement sensibilisé aux questions environnementales. On y utilise ainsi des sources d’énergie renouvelables grâce à des panneaux solaires, tous les déchets sont triés, le restaurant et les fournisseurs de linge ont un « écolabel nordique », et les perruques sont faites avec de vrais cheveux.
Stephen Langridge, le directeur artistique de la maison pour l’opéra – Katrin Hall occupant les mêmes fonctions pour la danse –, avoue avoir été impressionné, à son arrivée, par l’implication des personnels du théâtre dans la cause écologique. Raison pour laquelle il a souhaité mettre en scène lui-même ce nouveau Ring, l’œuvre s’inscrivant à la fois dans la durée et traitant du lien avec la nature. C’est parce qu’Alberich s’empare du métal précieux que l’ordre naturel est rompu et que le monde court ensuite à sa perte.
Certes, dans Das Rheingold, apparaissent seulement des créatures non humaines, mais c’est bien l’humanité tout entière qui paiera les conséquences du larcin. D’où le choix de personnifier les éléments naturels : quand le rideau se lève sur les fameux accords évoquant le cours du fleuve, c’est une foule, réelle et virtuelle, qui traverse le plateau.
De même, l’or est représenté par une créature dansante qui se cache derrière un couple d’amoureux – cet amour auquel Alberich devra renoncer pour pouvoir se l’approprier. Toute la mise en scène se veut ainsi explicative (on voit même Wotan sacrifier son œil au frêne du monde pour en devenir le maître), ce qui se justifie dans une ville où le Ring n’a jamais été donné et où le public n’est pas forcément au fait de la dramaturgie wagnérienne.
Sur le plateau, tout est mouvement, modification de l’espace, création d’images nouvelles, grâce à une tournette centrale, permettant le passage entre les mondes, et à des valets de scène qui déplacent les éléments de décor et, parfois, portent les personnages. Le problème est que cette agitation ne fait pas une mise en scène : manque une vraie direction d’acteurs, qui apporterait rythme et tension, en rendant justice à la puissance théâtrale de l’ouvrage.
Stephen Langridge se contente, en effet, de faire se déplacer les personnages, sans jamais les caractériser complètement. Surtout, il ne parvient pas à traduire, de manière crédible, la violence au cœur de leurs rapports (le moment où Wotan s’empare de l’anneau en coupant le doigt d’Alberich frise ainsi le ridicule).
Il faut dire que les chanteurs, pour la plupart suédois (une des chartes de l’engagement écologique est de faire appel à des solistes locaux, pour éviter les déplacements en avion et la lourde empreinte carbone qui en découle) forment un tout cohérent, mais sans grand relief. Ils sont, de surcroît, desservis par une acoustique, peut-être due au décor, qui les place souvent en retrait.
Le Loge virevoltant de Brenden Gunnell tire son épingle du jeu. Tout comme l’Alberich solide d’Olafur Sigurdarson, le Mime plutôt sobre de Daniel Ralphsson et la Fricka au timbre charpenté de Katarina Karnéus. Mais le Wotan d’Anders Lorentzson a la voix bien fatiguée et peine à imposer son autorité sur l’ensemble de la distribution. Et comment expliquer qu’on entende à peine le Fafner, au grave pourtant présent, de Mats Almgren ?
Dans la fosse, Evan Rogister dirige avec énergie et vitalité. Mais l’orchestre de la maison est un peu vert, et on sent qu’il n’a pas encore assimilé toutes les subtilités de l’écriture wagnérienne. Quant à Stephen Langridge, on espère que, tout en continuant à rendre explicites les faces sombres de la Tétralogie, il parviendra à donner à ses personnages plus de véracité et de relief.
PATRICK SCEMAMA
PHOTO © MATS BACKER