Staatsoper Unter den Linden, 25 novembre
Simon Rattle rêvait d’Hippolyte et Aricie depuis qu’il avait dirigé Les Boréades à Salzbourg, en 1999. Et le Staatsoper de Berlin a réuni autour de lui, après que le projet a été reporté faute de moyens financiers, l’équipe qu’il souhaitait : la chorégraphe Aletta Collins à la mise en scène, et l’artiste Olafur Eliasson pour la conception des décors, des costumes et, surtout, des lumières.
La déception est à la hauteur des attentes, mieux, des fantasmes suscités par une telle affiche. En effet, le résultat rappelle, pour le pire, le Pelléas et Mélisande commis à l’Opera Vlaanderen par Marina Abramovic et Sidi Larbi Cherkaoui, qui s’évertuait, avec une forme de candeur soi-disant iconoclaste, à ressusciter l’avant-garde d’hier.
Pour habiller la première « tragédie lyrique » de Rameau, ici représentée dans l’ultime révision de 1757, sans le Prologue donc, Olafur Eliasson a invoqué le souvenir de sa fréquentation des clubs de techno berlinois dans les années 1990. Et l’a transposé – tel quel ? – sur le plateau : une boule à facettes, des faisceaux lasers, et d’épais nuages de fumée épaississent l’obscurité dans laquelle évoluent les chanteurs, vêtus de matières réfléchissantes évoquant les créations de Paco Rabanne – là non plus, rien de neuf.
Certains tableaux saisissent par la beauté hypnotique des installations lumineuses, mais pas l’ombre d’une quelconque interrogation sur le genre et la forme de l’ouvrage ne se profile. D’autant qu’Aletta Collins reste en retrait, qui ne donne aucune consistance aux personnages, le plus souvent figés, et dont la chorégraphie se limite à des gesticulations éparses, et dépourvues de nerf.
Le salut vient-il de l’exécution musicale ? La fosse, si généreusement flatteuse pour la Staatskapelle Berlin, semble en avoir décidé autrement, qui met tout sauf en valeur le Freiburger Barockorchester, formation d’élite s’il en est, quoique peu familière du répertoire français, aux sonorités inhabituellement estompées. L’amour que Simon Rattle porte à Rameau transparaît dans certains galbes, des ciselures, des appuis, mais il manque à sa direction un sens de la continuité dramatique.
Il aurait fallu, aussi, une distribution davantage rompue à un style qui ne s’improvise pas. Reinoud Van Mechelen est, à cet égard, irréprochable – et quelle délicatesse de timbre ! –, mais Hippolyte est le plus discret des héros de Rameau. Aricie a davantage de chair, et Anna Prohaska en accentue les contours, par une diction d’une netteté inespérée. Reste que les ornements dont elle surcharge la ligne tiennent de la contrefaçon – surtout face à la Diane sans affectation d’Elsa Dreisig, ou mieux encore, une Sarah Aristidou superbement idiomatique en Grande Prêtresse.
Au moins Anna Prohaska évite-t-elle le hors sujet dans lequel sombre – malgré elle ? – Magdalena Kozena. La couleur pourrait être celle de Phèdre, mais l’intelligibilité intermittente, le vibrato et les effets quasi véristes qui en découlent vont à l’encontre des principes les plus élémentaires de la déclamation. Et que l’interprète, jusqu’alors uniformément égarée et hagarde, retrouve dans sa dernière scène un semblant de dignité ne suffit pas à rééquilibrer la balance en sa faveur.
Par contraste avec un Roman Trekel en lambeaux, qui réduit Tisiphone à néant, Peter Rose se révèle un Pluton d’une exemplaire fermeté de ton et d’émission. À la hauteur, surtout, du Thésée de Gyula Orendt. La tessiture du rôle est certes trop basse pour son baryton velouté, et il lui arrive de lutter pour atteindre les notes les plus graves, mais l’artiste captive à chacune de ses apparitions, figure de proue d’un navire qu’il préserve du naufrage.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO : Reinoud Van Mechelen, Elsa Dreisig et Anna Prohaska. © KARL UND MONIKA FORSTER