Bordeaux
Dardanus
Rameau
Karina Gauvin (Vénus)
Katherine Watson (L’Amour)
Gaëlle Arquez (Iphise)
Reinoud Van Mechelen (Dardanus)
Florian Sempey (Anténor)
Nahuel Di Pierro (Teucer, Isménor)
Étienne Bazola (Un Phrygien)
Raphaël Pichon (dm)
Michel Fau (ms)
Emmanuel Charles (d)
David Belugou (c)
Joël Fabing (l)
Christopher Williams (ch)
Grand-Théâtre, 22 avril
On sait que la fantaisie est au cœur du travail de Michel Fau. Dardanus, coproduction entre l’Opéra National de Bordeaux, Château de Versailles Spectacles et le CMBV, n’y échappe pas. Avec son décorateur, Emmanuel Charles, et son costumier, David Belugou, il imagine un monde coloré, grouillant de vie, des images où le merveilleux révèle une part d’enfance bien assumée, mais qui ne trahissent pas l’esprit du théâtre baroque.
Changements de décors à vue, vagues de toile peinte, monstre doré à longue queue et recouvert d’écailles, incarné par un colosse qu’on n’aimerait guère rencontrer au coin d’un bois, Vénus empanachée de rouge, trônant au milieu d’un cœur formé de roses géantes, et, de chaque côté, trois étages de loges, en écho à celles du Grand-Théâtre, dans lesquelles prennent place les choristes, vêtus de toilettes XVIIIe revisitées : une débauche visuelle proche du music-hall et de l’idée qu’on peut se faire d’une revue des Folies-Bergère fantasmée.
Même luxuriance dans les costumes : bleu électrique, vert cru… La chorégraphie de Christopher Williams complète les réjouissances, clin d’œil permanent à une danse baroque mâtinée de contemporain, sans jamais être une pâle reconstitution. Une exubérance séduisante mais qui reste, malgré tout, bien sage.
Une ombre, pourtant, à ce tableau enchanteur : si le livret de Le Clerc de La Bruère n’est jamais pris à rebrousse-poil, Dardanus, présenté ici dans sa version première de 1739, augmentée de quelques pages de la mouture de 1744 (dont le Prologue), se veut une « tragédie lyrique ». Ce qui manque le plus à cette production, diffusée en direct sur Mezzo et captée en vue d’un futur DVD chez Harmonia Mundi, c’est une vision plus aiguë des personnages.
Le plaisir des yeux est satisfait, mais on cherche en vain l’émotion et la tension dramatique – les émois d’Iphise, craignant la mort de Dardanus, qu’elle aime, le désespoir d’Anténor, épris d’elle, comprenant que c’est son rival qui lui a sauvé la vie et s’effaçant, autant de situations qui pouvaient être approfondies.
Raphaël Pichon occupe une place de plus en plus importante parmi les jeunes baroqueux. C’est, sauf erreur, sa première apparition dans une fosse d’opéra – il s’est jusque-là contenté de concerts. Son ensemble Pygmalion possède un son bien à lui, dru, franc, ni trop joli, ni trop brut. Sa direction se singularise par sa tonicité, son entrain. Sans doute lui faudrait-il davantage de discipline, de rigueur, et ne pas céder à des effets inutiles, certains silences trop appuyés, des tempos trop étirés, comme dans la sublime scène de sommeil du IV.
Ce Rameau ardent et juvénile a pourtant bien des attraits, servi par une distribution d’exception. Quelle meilleure Vénus pourrait-on trouver que Karina Gauvin, au chant sensuel et brillant ? Katherine Watson est un Amour craquant. Verbe fier, musicalité impeccable : Gaëlle Arquez compose une Iphise noble et touchante. Teucer et Isménor sont confiés à Nahuel Di Pierro, qui relève le défi avec prestance.
Quelle tenue, quelle élégance, quelle force dans -l’Anténor de Florian Sempey ! La voix est large et belle, la déclamation expressive ; décidément, ce jeune baryton tient ses promesses. C’est aussi le cas de Reinoud Van Mechelen, véritable ténor aigu à la française, qui délivre à chacune de ses apparitions une leçon de style ; la lumière du timbre, le délié de la ligne musicale, la sincérité des mots font rayonner son Dardanus.
Fêté par une salle comble et enthousiaste, Rameau peut se réjouir, d’autant plus que le Grand-Théâtre de Victor Louis offre à sa musique un cadre féerique.
Michel Parouty
Karina Gauvin (en haut), Reinoud Van Mechelen, Nahuel Di Pierro et Gaëlle Arquez dans Dardanus. © FRÉDÉRIC DESMESURE