Comptes rendus Der Rosenkavalier à Baden-Baden
Comptes rendus

Der Rosenkavalier à Baden-Baden

24/04/2015

Baden-Baden

Der Rosenkavalier
R. Strauss

Anja Harteros (Die Feldmarschallin)
Peter Rose (Der Baron Ochs)
Magdalena Kozena (Octavian)
Clemens Unterreiner (Herr von Faninal)
Anna Prohaska (Sophie)
Irmgard Vilsmaier (Jungfer Marianne)
Stefan Margita (Valzacchi)
Carole Wilson (Annina)
John In Eichen (Ein Polizeikommissar)
Lawrence Brownlee (Ein Sänger)

Simon Rattle (dm)
Brigitte Fassbaender (ms)
Erich Wonder (d)
Dietrich von Grebmer (c)
Franz David (l)

Festspielhaus, 30 mars

En plus de quarante années de fréquentation des salles lyriques, j’ai eu l’occasion de voir un nombre respectable d’interprètes de la Maréchale, parmi lesquelles Gundula Janowitz, Kiri Te Kanawa, Felicity Lott et Renée Fleming. Aucune ne m’avait procuré des émotions comparables à celles vécues en compagnie d’Anja Harteros, dans cette nouvelle production du « Festival de Pâques » de Baden-Baden.

Rien de sophistiqué chez cette Maréchale, dont la jeunesse, tant vocale que physique, surprend au premier acte. Le texte, on le perçoit vite, a bénéficié d’un travail approfondi, mais la soprano allemande ne cherche jamais à en faire la démonstration : tout coule de source, avec un naturel absolu, à commencer par un chant d’une élégance et d’un rayonnement souverains.

La fin du I, avec un « Zeit-Monolog » à fleur de lèvres et un sol aigu merveilleusement filé sur « die silberne Ros’n », est déjà inoubliable. Le trio du III, lui, atteint au divin, le timbre déployant toutes ses moirures dès la phrase introductive, jusqu’à un si aigu conclusif d’une facilité et d’une plénitude qui font passer le frisson.

Que demander de plus ? À 42 ans, quatre ans après ses débuts dans le rôle à Munich, Anja Harteros est, d’ores et déjà, une immense Maréchale. Elle en possède la voix, la beauté physique, le port aristocratique, la sensibilité, la capacité à toucher l’auditeur dans son cœur le plus profond. Il lui reste à trouver en chaque occasion des partenaires respirant sur les mêmes cimes, ce qui n’était pas le cas à Baden-Baden.

Anna Prohaska, d’abord, est une Sophie sans envergure et son entrée dans le trio, venant derrière le miraculeux « Hab’ mir’s gelobt » de sa consœur, fait l’effet d’une douche froide. Timbre anonyme, aigu bien peu aérien, quand il n’est pas faux : il est facile de trouver mieux aujourd’hui !

Magdalena Kozena est une artiste d’une tout autre trempe, et son Octavian tient son rang. Mezzo-soprano au sens du XVIIIe siècle, c’est-à-dire deuxième soprano, la tessiture ne lui pose aucun problème et elle s’efforce de rendre crédible son personnage. Mais, en dehors d’une puissance un peu limitée pour une salle aussi vaste que le Festspielhaus, elle souffre du voisinage avec une Maréchale qui la surclasse sur tous les plans.

Du coup, le trio accuse un léger déséquilibre et l’on se prend à regretter celui formé par Renée Fleming, Diana Damrau et Sophie Koch, sur cette même scène, en 2009 (en DVD chez Decca), malgré une Maréchale moins exceptionnelle.

La faute en revient aussi à Simon Rattle, incapable de faire oublier Christian Thielemann, il y a six ans. Après un début trop lourd, le chef allemand avait vite trouvé le ton juste dans l’un des opéras qui lui conviennent le mieux. À la tête d’un Philharmonique de Berlin aux sonorités enivrantes, son confrère britannique, comme dans La Damnation de Faust proposée en alternance (voir plus loin), semble incapable de construire une architecture d’ensemble. Si certains moments suscitent l’enthousiasme (le lever de la Maréchale, la valse du II, le trio du III), ils sont trop rares pour dissiper une vague sensation d’ennui.

Le reste de la distribution va du bon (l’Ochs de Peter Rose, caractérisé avec autant de sobriété que de finesse, malgré des moyens inférieurs à ceux des grands titulaires dont on garde le souvenir, Kurt Moll en tête) à l’excellent (le solaire Chanteur italien de Lawrence Brownlee, la remarquable Marianne d’Irmgard Vilsmaier, le jeune et percutant Faninal de Clemens Unterreiner), voire l’exceptionnel (l’étourdissant Valzacchi de Stefan Margita, qui vole la vedette au Baron à chacune de leurs rencontres !).

À une époque où beaucoup de metteurs en scène ont tendance à se reposer sur les décors et les éclairages, le travail de Brigitte Fassbaender surprend. Le dispositif, en effet, est très simple : de fins panneaux transparents servant à des projections de lieux plus ou moins signifiants, dans des perspectives systématiquement floues.

Se succèdent ainsi, voire se superposent, la vue panoramique d’une métropole illuminée, l’intérieur d’un théâtre à l’italienne, un atelier de couture dont Faninal est le propriétaire, un marché couvert, un énorme lustre doré, une piscine vidée de son eau… jusqu’à la magnifique image finale d’un paysage montagnard enneigé.

L’essentiel est ailleurs, à savoir dans une direction d’acteurs au cordeau, d’une précision et d’une subtilité que l’on ne perçoit pas complètement à la première vision. Brigitte Fassbaender, qui fut, est-il besoin de le rappeler, l’un des grands Octavian du XXe siècle, connaît son Rosenkavalier sur le bout du doigt : chaque geste fait sens, sans esbroufe mais avec un souci constant de vérité psychologique. Ainsi, les nombreuses actions parallèles ne paraissent jamais plaquées sur la principale, ni envahissantes au point de distraire l’œil du spectateur.

Une fois n’est pas coutume, le télescopage des époques (Octavian tantôt en habit Louis XV, tantôt en complet années 1950…) fonctionne à la perfection, en ouvrant, là encore, d’intéressantes pistes de réflexion. On saluera aussi le tact avec lequel est illustrée la confusion des sexes, chère à Strauss et Hofmannsthal, avec une mention pour les changements d’identité vestimentaire de Valzacchi et Annina (l’un endossant parfois le costume de l’autre, et vice versa).

C’est sur une image que je conclurai ce compte rendu : celle d’Anja Harteros quittant la scène au III, la tête haute, les cheveux tirés en un élégant chignon aile de corbeau, serrant autour d’elle les plis de son long manteau de velours bordeaux. Comme si la Maréchale rejoignait la longue liste des divas abandonnées par leur amant, quelque part entre Maria Callas et Gloria Swanson dans Sunset Boulevard

Richard Martet

Anja Harteros. © MONIKA RITTERSHAUS

Pour aller plus loin dans la lecture

Comptes rendus Turc plein de verve à Avignon

Turc plein de verve à Avignon

Comptes rendus Armide de retour à Paris

Armide de retour à Paris

Comptes rendus Strasbourg fidèle à Schreker

Strasbourg fidèle à Schreker