Théâtre Graslin, 27 novembre
Angers Nantes Opéra, en collaboration avec Limoges et Trèves, a la bonne idée de monter une nouvelle production de Cendrillon, chef-d’œuvre de Massenet encore trop peu souvent à l’affiche.
Ezio Toffolutti joue la carte du conte de fées, ce qui n’est évidemment pas un contresens. Décorateur, costumier et éclairagiste plus souvent que metteur en scène, l’artiste italien signe la totalité de la partie visuelle, avec le seul concours de la chorégraphe Ambra Senatore. Les toiles peintes dessinent une vaste salle avec cheminée, pour la maison où vit Cendrillon, puis un hall serti de grandes colonnes, pour le palais royal.
Ces cadres, au fond assez banals, servent d’écrin à un univers à la Lewis Carroll, quand apparaît la Fée, entourée d’elfes et d’êtres extravagants, dans un brouillard fantastique, ou quand Cendrillon et le Prince Charmant, en pleine extase onirique, s’avouent leur amour dans une forêt miniature. Le tout fait parfois un peu fouillis, mais cette vision à la Tolkien est, en définitive, bienvenue.
Les costumes vont des uniformes des officiers de la cour aux improbables robes à panier (non recouvertes de tissu et laissant voir les sous-vêtements !) de Madame de la Haltière et ses filles. De quoi rendre encore plus ridicule cette société aristocratique et bourgeoise que Massenet brocarde.
Corsant une direction d’acteurs relativement sage et à la cocasserie convenue, Ambra Senatore impose aux danseurs du Centre Chorégraphique National de Nantes des déplacements bizarres et décalés, des gestes bouffes, des acrobaties de cirque. Du coup, on garde de cette production une sensation de vitalité, entre rêverie et clownerie, malgré des lumières mal maîtrisées, qui en constituent l’unique point véritablement faible.
La diction est essentielle ici, et l’on regrette que la mezzo israélienne Rinat Shaham ne soit pas irréprochable sur ce plan. Son accent et, surtout, des syllabes avalées ne compromettent cependant pas la vigueur d’un chant sans afféteries, qui sait se montrer émouvant, notamment dans l’air d’entrée de Cendrillon (« Reste au foyer, petit grillon »).
La couleur veloutée du timbre est peut-être trop semblable à celle de Julie Robard-Gendre en Prince Charmant, sans que cela n’altère le lyrisme éperdu de leurs duos. La mezzo française est poignante dans l’expression de la mélancolie, et elle a belle allure quand l’amour triomphe.
Rosalind Plowright investit, avec un tonus sidérant, le rôle de Madame de la Haltière, dont elle souligne, avec un humour féroce, le caractère antipathique. Son zeste d’accent britannique, sa voix un peu usée mais dotée d’une puissance préservée, contribuent à parfaire une composition impayable.
Magnifique Fée de la soprano canadienne Marianne Lambert, couverte d’or, enfilant les vocalises et les notes suraiguës avec une aisance rare. François Le Roux a tout ce qui convient à Pandolfe, y compris un timbre désormais fatigué, que compense une présence scénique sans faille. Les idiotes de sœurs sont savoureuses, et tous les petits rôles sont fort bien tenus.
Claude Schnitzler se meut dans l’univers de Massenet avec le professionnalisme qu’on lui connaît, dessinant avec poésie les arcs mélancoliques, vivifiant le rythme des scènes cocasses et faisant éclater d’impressionnants tutti, à la tête d’un superbe Orchestre National des Pays de la Loire (une mention pour le flûtiste Patrick Simon, parfait dans ses multiples interventions).
Bref, Massenet est ici admirablement servi.
Dernière représentation à Nantes le 4 décembre. Reprise à Angers les 14, 16 et 18 décembre.
JEAN-LUC MACIA
PHOTOS : © JEAN-MARIE JAGU