Théâtre des Champs-Élysées, 28 novembre
On attendait cette nouvelle production de La traviata, l’un des points forts de la saison du Théâtre des Champs-Élysées, pour plusieurs raisons. La mise en scène de Deborah Warner, l’une des grandes dames du théâtre britannique. La direction de Jérémie Rhorer, à la tête de son ensemble Le Cercle de l’Harmonie. La prise de rôle de Vannina Santoni, l’une des jeunes sopranos françaises à suivre.
Le plateau tient ses promesses, sans susciter complètement l’enthousiasme. Les emplois secondaires, grâce à Catherine Trottmann, Clare Presland ou Marc Barrard, sont bien plus que des utilités. Saimir Pirgu, familier d’Alfredo, est un ténor d’une louable honnêteté mais sans rayonnement particulier, dramatiquement efficace mais un peu court d’imagination. Quant à Laurent Naouri, voix tranchante et incisive, il trace de Germont un portrait sans ambiguïté, d’abord engoncé dans ses principes avant de céder à la compassion.
En cette soirée de première, et dans l’un des rôles les plus convoités du répertoire, Vannina Santoni n’a aucun mal à conquérir la salle. Sans doute est-elle morte de trac, ce que l’on peut comprendre, et qui explique quelques légers problèmes d’intonation. Blonde et ravissante, elle s’investit dans son personnage avec un jusqu’au-boutisme qui laisse pantois, le désespoir et la douleur affleurant rapidement sous une apparente légèreté.
Aucune interprète ne résiste à Violetta, mais encore faut-il la maîtriser théâtralement et musicalement – ce que Vannina Santoni tente avec courage, en relevant un défi qui risque de marquer un tournant dans sa carrière. La fraîcheur du timbre est séduisante, l’art des nuances et des demi-teintes ne peut que s’améliorer, de même que l’aisance dans les vocalises.
Il est certain que la soprano gagnera en assurance au fil des représentations et qu’elle jouera davantage sur la variété des couleurs vocales. Mais, d’ores et déjà, son « Sempre libera », empreint d’amertume, et son « Addio del passato », dont le phrasé révèle un goût de cendres, laissent espérer beaucoup d’une incarnation sincère et généreuse.
Jérémie Rhorer, qui adopte un diapason à 432 Hz – celui de l’époque de Verdi – au lieu des 440 habituels, donne la partition dans son intégralité, en supprimant les ajouts des fausses traditions (dont le contre-mi bémol à la fin de « Sempre libera »). Sa direction joue sur les contrastes de tempi, tantôt vifs et enlevés, tantôt plus larges, et offre un discours vivant, qui trouve sa juste respiration. En dépit de quelques problèmes de cohérence dans les premières minutes, le Chœur de Radio France a de la tenue et de la présence.
Cette Traviata parisienne n’est pas une première pour Deborah Warner, qui avait déjà monté l’ouvrage à Vienne, en 2012. On connaît et l’on aime cette femme de théâtre remarquable, shakespearienne farouche, à laquelle on doit quelques passionnants moments d’opéra. Du spectacle qu’elle signe ici, on ne peut nier la classe.
Le décor est minimaliste, la plupart du temps réduit à quelques accessoires ; les costumes, inspirés des années 1950, sont élégants et raffinés. Sur scène, deux Violetta sont présentes, la cantatrice et son double (l’excellente Aurélia Thierrée), cette dernière personnifiant l’héroïne mourante dans une salle commune d’hôpital.
L’idée du flash-back – cette existence revécue lors des ultimes instants d’une vie trop courte – reflète ce que dit la musique. Elle oublie, pourtant, une composante essentielle de l’œuvre : Violetta est une courtisane, une femme en marge de la société bourgeoise de son temps, qui la voit comme une menace, alors que c’est cette même société qui a décidé de son sort.
Cette problématique sociale, intimement liée au XIXe siècle, est exposée dans le roman d’Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias, base de l’opéra, et elle rend toute transposition difficile. Sans elle, il manque toujours quelque chose à La traviata, ce qu’avaient fort bien compris Jorge Lavelli ou Luca Ronconi.
La « Dame sans camélias » de Deborah Warner est donc loin de laisser indifférent ; elle garde, malgré tout, un arrière-goût d’inachevé.
MICHEL PAROUTY
PHOTOS : Vannina Santoni. © VINCENT PONTET