Die tote Stadt
Théâtre du Capitole, 22 novembre
Lors de sa présentation à Nancy, Richard Martet avait souligné les grands mérites de cette production (voir O. M. n° 53 p. 67 de juillet-août 2010). La revoyant à Nantes, cinq ans après, il notait qu’elle avait conservé « toute sa pertinence, sa beauté et son émotion » (voir O. M. n° 106 p. 63 de mai 2015).
C’est avec un même bonheur que nous la découvrons aujourd’hui à Toulouse, pour l’entrée de Die tote Stadt au répertoire du Théâtre du Capitole. Structurée et souple à la fois, la mise en scène de Philipp Himmelmann prouve que cet opéra, créé en 1920, n’a rien perdu de sa troublante modernité.
Le décalage de Paul par rapport au monde qui l’entoure, est rendu évident par ce décor de niches, proche de certains tableaux de Magritte. La réalité et le rêve, la vie et la mort, le masculin et le féminin, la réclusion et la fête, tout ce que Korngold a retenu du roman de Rodenbach, connaît là une traduction visuelle aussi fidèle qu’inspirée.
À la tête d’un Orchestre National du Capitole en superbe forme, Leo Hussain exalte, lui aussi, la force de cette musique, nourrie d’un riche héritage post-romantique et déjà très novatrice. Rien de lourd mais, par le jeu d’une prodigieuse instrumentation, une savante palette de nuances sonores.
Torsten Kerl reprend ici un rôle que, depuis une vingtaine d’années, il a défendu sur les plus grandes scènes. Sa composition de Paul demeure exemplaire, tant elle sait concilier l’énergie vocale et l’expression des sentiments les plus intimes.
Remarquée, à l’été 2017, dans Lady Macbeth de Mtsensk à Salzbourg, Evgenia Muraveva est, à ses côtés, la grande triomphatrice de cette soirée. On est stupéfait devant l’assurance et l’intelligence dramatique de la jeune soprano russe, qui donne à son double personnage une présence fulgurante. Sensuelle, énigmatique, délurée, elle triomphe, avec un rare aplomb, des embûches que lui réserve une partition particulièrement exigeante.
À l’élégance stylistique du Frank de Matthias Winckhler répond la belle musicalité du Fritz de Thomas Dolié, qui pare son air « Mein Sehnen, mein Wähnen » de ses plus chaudes couleurs de baryton. Seule, au sein de cette distribution de très haut niveau, Katharine Goeldner laisse deviner quelques infimes fêlures en Brigitta.
Avec une telle mise en scène, avec une telle interprétation, qui songerait à douter de la vitalité inaltérée de Die tote Stadt ?
PIERRE CADARS
PHOTOS : © PATRICE NIN