Opera House, 7 juillet
Stefan Herheim serait-il, comme d’autres réalisateurs stars du moment, en train de tomber dans un « système » ou, plus prosaïquement, dans une sorte de caricature de lui-même ? Brillant, passionnant, mais inutilement compliqué et parfois agaçant, le Pelléas qui marque ses débuts à Glyndebourne a un air de déjà-vu.
En plus de l’histoire originale de l’opéra, le metteur en scène norvégien a voulu évoquer l’histoire du compositeur lui-même. Non pas l’histoire bien réelle de Claude Debussy, mais une histoire imaginaire, ne faisant pas nécessairement sens.
Debussy, portant des pantalons knickers en tweed, prête ainsi ses traits à Golaud. On suppose que, plutôt que de mourir en 1918, il est passé par Glyndebourne peu avant que le Festival ne soit créé, en 1934 : le spectacle se déroule, en effet, dans une reproduction fidèle de la fameuse « Organ Room » du manoir, sorte de haute chapelle néo-gothique contenant un immense orgue et un salon de réception.
Pour être ludique (on verra, en image finale, des festivaliers pénétrer dans le décor comme ils le font, chaque soir, pour visiter l’« Organ Room » avant d’entrer dans le théâtre), cette « mise en abyme » n’innove qu’en apparence. D’abord, parce que pas mal d’autres metteurs en scène invités se sont déjà inspirés semblablement des lieux. Ensuite, parce que Stefan Herheim répète ici la démarche de son Parsifal à Bayreuth (situé dans la Villa Wahnfried) et, plus encore, de sa Dame de pique à Amsterdam, où Tchaïkovski devenait déjà l’un des personnages du drame.
Certes, les spectateurs arrivés vierges de ces références s’amuseront de clins d’œil répétés : le Médecin a le visage de Massenet, et l’on reconnaît Fauré parmi les acteurs silencieux ! Sans doute admireront-ils, également, la splendeur des lumières, l’intelligence du décor modulable (les tuyaux d’orgue deviennent les arbres de la forêt), ou encore quelques belles images (tous les personnages sont réunis autour de Pelléas et Mélisande, quand ils s’avouent leur amour).
Mais il est possible que ces mêmes spectateurs s’interrogent, aussi, sur la pertinence des libertés prises avec la trame originale. Certaines sont mineures (le Berger qui devient un prêtre, par exemple), mais d’autres sont plus substantielles : un Pelléas androgyne et timide, évoquant une sorte de clone moustachu du Tadzio de Death in Venice ; un Golaud exagérément violent qui abuse de son fils et qui, après avoir assassiné son frère, demande qu’on le tue à son tour ; le spectre de Pelléas tuant finalement Mélisande, avec le consentement de cette dernière…
Directeur musical du Festival, Robin Ticciati livre, comme à l’accoutumée, une lecture soignée, mais pas toujours inspirée. Le chef britannique et le London Philharmonic Orchestra savent mettre en évidence les richesses instrumentales de la partition, mais passent trop souvent à côté des dimensions poétiques et introspectives de l’œuvre. Il y a, dans cette lecture, quelque chose de très carré, qui rend assez peu justice à la part de brume et de mystère que l’on attend.
Essentiellement anglophone – à l’exception de la belle Mélisande de l’Autrichienne Christina Gansch et de l’excellent Yniold de la Française Chloé Briot –, la distribution fait au texte de Maurice Maeterlinck un sort inégal. S’il est bien traité par le Golaud très correct de Christopher Purves, comme par le Pelléas raffiné et émouvant de John Chest, c’est moins le cas avec la discrète Geneviève de Karen Cargill et l’Arkel fatigué de Brindley Sherratt.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © RICHARD HUBERT SMITH