Like flesh, premier opus lyrique de la compositrice israélienne, chanté en anglais, sera donné à l’Opéra de Lille, le 21 janvier 2022, dans une mise en scène de Silvia Costa, avec Maxime Pascal au pupitre, puis aussitôt repris à l’Opéra Comédie de Montpellier, le 10 février.
Like flesh, « opéra de chambre multimédia », est votre première œuvre destinée à la scène lyrique, mais vous aviez déjà écrit, à plusieurs reprises, pour la voix et sa mise en situation. Comment cet intérêt s’est-il forgé ?
Plusieurs expériences ont fortifié mon désir de travailler pour la scène, en particulier avec des danseurs vocalisés, en 2014. Puis j’ai composé, en collaboration avec la dramaturge Cordelia Lynn, The White Princess, d’après Rilke, pour deux sopranos et percussions – un ouvrage créé dans le cadre de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence, en 2017. En 2018, à Royaumont, il y a eu Heave, pour six voix et électronique, puis, en 2019, à Montpellier, Una Mujer Derramada, pour voix soliste et orchestre. Ces différentes réalisations m’ont fourni un matériau musical précieux qui, naturellement, m’a amenée à l’écriture de Like flesh.
Pour cet ouvrage, vous avez poursuivi votre collaboration avec Cordelia Lynn. L’argument imaginé par votre librettiste fait référence à l’un des récits mythologiques des Métamorphoses d’Ovide. Poursuivie par Apollon amoureux, qu’elle fuit, la nymphe Daphné demande à son père, le fleuve Pénée, de l’aider à échapper à son persécuteur. Ainsi, elle se transforme progressivement en laurier…
C’est aussi le destin fantastique d’une femme (La Femme, contralto), qui mène une vie conjugale sans amour avec un homme (Le Forestier, basse). Le surgissement brutal d’un désir pour une jeune fille (L’Étudiante, soprano) s’introduit au sein du couple, provoquant le changement de forme de la Femme. Elle se métamorphose : en devenant un arbre dans la forêt, elle espère s’évader de son existence malheureuse.
Cet imaginaire de la transformation vous a-t-il inspirée ?
Certainement ! Les métamorphoses expriment la fluidité universelle. Les frontières entre l’humain et la nature fusionnent, se brouillent. Nous sommes à la croisée des mondes, à l’origine d’un temps mythique. C’est à la fois magique, mystérieux et inquiétant.
Dans cette permanente combinaison des éléments et des déplacements d’un corps à un autre, n’est-ce pas le souffle vital de l’amour qui circule ?
Il y a deux thèmes enchevêtrés dans cet opéra. D’une part, la destruction de l’environnement, avec un triangle amoureux comme métaphore. De l’autre, notre relation à l’amour et à l’être aimé, en utilisant la destruction de l’environnement comme métaphore. Cette ambiguïté est significative. Elle nous amène à nous demander : quel est l’objet et quelle est la métaphore ?
Le milieu naturel ne présente-t-il pas, lui aussi, une face sombre et menaçante ?
Si, bien sûr ! La Forêt, qui est un personnage à part entière, incarné par le chœur, est provocante, dérangeante, mais aussi attirante. C’est un lieu d’exploration de l’inconnu… La réaction de l’être humain au changement – l’excitation et la peur qu’il suscite – est centrale, tout au long du livret.
Quelle forme musicale avez-vous donnée à cette fable poétique et symbolique, qui met en scène l’irruption du fantastique au cœur du drame humain ?
Une succession de quinze scènes parcourent la partition dans un mouvement constant, où l’histoire se déploie sur plusieurs niveaux et se clôt sur une note sombre, portée par la voix de la Forêt, à la manière du chœur antique. Dans cette exploration de la fantaisie et de la réalité, de l’amour, du désir et de la solitude, de la nature et de ses créatures et, bien sûr, de la transformation, la vie, dans toute sa complexité, continue.
Comment avez-vous traité, sur le plan des couleurs sonores, les différents univers qui se côtoient ?
Sur scène, le monde mélodique, soit un trio vocal et un chœur amplifiés ; dans la fosse, un espace instrumental acoustique ; dans la salle, un espace instrumental électroacoustique. Pour cela, j’ai fait appel à la technologie de l’Ircam, en confiant la réalisation en informatique musicale à Augustin Muller. Des matériaux électroacoustiques propagent, à travers des haut-parleurs dispersés dans la salle, des sons qui suggèrent la présence de la forêt ; de leur côté, d’autres haut-parleurs, placés sous les sièges des spectateurs, diffusent des sons plus concrets, évocateurs des mouvements cachés de la nature. Ces entités dialoguent entre elles et se transforment, en écho à la thématique de la métamorphose, créant un environnement sonore immergeant.
Le prix « Fedora » pour l’opéra, qui récompense les œuvres lyriques innovantes, a été attribué, cette année, à Like flesh. Que pensez-vous de l’opéra aujourd’hui ?
Je souhaite le renouvellement des codes de l’art lyrique. Les outils technologiques y participent, mais aussi le choix et la forme des sujets qu’on porte à la scène. Outre sa fonction de divertissement, l’opéra peut nous inviter à réfléchir sur des problématiques contemporaines, à modifier notre regard, par exemple, sur des thèmes forts, tels que l’environnement et le genre.
Propos recueillis par Marguerite Haladjian