Interview Josephine Stephenson
Interview

Josephine Stephenson

29/03/2023
© Marika Kochiashvili

Les 5 et 7 mai, l’Opéra Grand Avignon accueille le nouvel opus lyrique de la compositrice franco-britannique, écrit en langue anglaise : Three Lunar Seas. Avec Léo Warynski à la baguette, la mise en scène est assurée par Frédéric Roels, directeur de la maison.


© Marika Kochiashvili

Dès vos jeunes années, vous avez été immergée dans un univers musical (piano, violoncelle), puis vous avez intégré la Maîtrise de Radio France, avant de poursuivre votre formation en Angleterre. Ces apprentissages ont-ils ouvert la voie de la musique, envisagée comme une activité qui engagerait votre avenir professionnel ?

J’ai eu, dès le début, la conviction que je consacrerais ma vie à la musique et, plus particulièrement, à la composition. Chansons, petites pièces, musiques de scène et de film ont été des premières expériences de création stimulantes, et après l’obtention de mon master de composition, au Royal College of Music de Londres, les projets sont devenus plus sérieux. Les différentes formations que j’ai suivies m’ont aidée à trouver ma place dans le paysage musical d’aujourd’hui.

Vous avez été, très tôt, attirée par le théâtre musical. Quelles sont les étapes qui vous ont menée vers la grande forme lyrique de Three Lunar Seas ?

L’opéra offre cette expérience exceptionnelle de travailler en collaboration, ce qui me plaît beaucoup. Pour Three Lunar Seas, l’échelle est grande, en effet, car on compte soixante-dix personnes, rien que sur la scène !

Three Lunar Seas s’inscrit sous un titre poétique et mystérieux, tout à la fois. À quoi ces trois mers lunaires, la mer de la Fertilité, la mer de la Sérénité et la mer de la Tranquillité, font-elles allusion ?

La référence est de l’ordre de l’imaginaire et du rêve. La Lune apparaît comme un grand disque aux couleurs argentées, qui trône dans l’immensité du ciel nocturne et semble porter un regard parfois bienveillant, parfois inquiétant sur les activités terrestres. Les « mers lunaires », évidemment, ne sont pas des mers, mais de vastes plaines basaltiques sur la surface de la Lune. Quand avec Ben Osborn, mon librettiste, nous avons redécouvert leurs noms, nous les avons trouvés si beaux, intrigants et riches de sens que nous avons voulu construire nos histoires à partir d’eux.

Trois histoires tissent ensemble, de manière très originale, la trame de votre opéra. Comment cette structure singulière a-t-elle pris forme ?

L’ouvrage s’est donné comme objet des enjeux qui questionnent le monde contemporain, sous trois angles différents. Un premier récit raconte l’histoire d’un couple de femmes, qui souhaitent avoir un enfant et s’interrogent sur le sens de cette naissance, dans le monde dans lequel on vit. Le deuxième volet évoque un couple hétérosexuel plus âgé, dont l’intimité se trouve brisée par l’intrusion de la maladie de Parkinson ; le personnage masculin est confié à un danseur. Le dernier épisode aborde la protection de l’environnement. Serena, une jeune activiste, veut dépasser la peur et l’immobilisme, en s’introduisant de nuit dans une usine polluante, pour témoigner et dénoncer. Le rôle est assuré par une chanteuse folk, une musique de tradition orale, particulièrement proche de la nature.

Quelle forme musicale avez-vous donnée à cette trilogie, dont les scènes en écho se déroulent dans un mouvement constant et continu ?

On passe et repasse d’une histoire à l’autre, sans interruption, comme dans un film choral, avec des transitions ­assurées par une quatrième « mer lunaire », l’océan des Tempêtes – c’est-à-dire le chœur qui, à la manière antique, est témoin et spectateur. Les trois thèmes, qui sont trois grandes questions de notre époque, se complètent et s’unissent pour créer l’opéra.

Comment avez-vous exploité le potentiel du livret ?

Il ne s’agit pas simplement de mettre en musique des histoires, mais d’organiser une dramaturgie opératique. La partition est empreinte d’une tonalité intime, ponctuée d’accents aux rythmes intenses. L’écriture vocale privilégie des lignes mélodiques souples et expressives, qui épousent le mouvement du texte, à travers les tessitures flexibles des cinq chanteurs solistes. Dans la fosse, un orchestre de quarante-deux musiciens – dont un Cristal Baschet, instrument à base de tiges de verre et de métal, aux timbres cristallins et argentés – prolonge l’atmosphère lunaire, baignant la partition entre ombres nocturnes et lumières énigmatiques.

Propos recueillis par MARGUERITE HALADJIAN

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