Après Au monde, créé à Bruxelles, en 2014, le compositeur belge et l’auteur-metteur en scène français proposent Pinocchio, le nouvel opéra né de leur collaboration, une fois encore inspiré d’une pièce préexistante de Joël Pommerat. Lever de rideau au Grand Théâtre de Provence, le 3 juillet.
Après Au monde, qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un nouvel opéra ensemble ?
Philippe Boesmans : En fait, c’est Bernard Foccroulle, le directeur général du Festival d’Aix, qui nous a passé commande, avant même qu’Au monde soit terminé. Avec Joël, nous avons beaucoup réfléchi au choix du sujet. À un moment, il a envisagé de faire quelque chose avec des androïdes, c’est-à-dire des êtres virtuels. Puis j’ai lu Pinocchio (2008) qui, parmi toutes les pièces de Joël, était l’une de celles que je ne connaissais pas, et le choix s’est porté sur elle. Cela aurait pu être Cendrillon, créée trois ans après Pinocchio, mais il y avait déjà celles de Rossini et de Massenet, alors que des Pinocchio, à ma connaissance, il n’y en a pas encore à l’opéra…
Joël Pommerat : Je me souviens qu’avant même que Bernard Foccroulle nous passe la commande, je t’avais posé la question d’un autre sujet, car j’avais pris beaucoup de plaisir à travailler sur Au monde et je souhaitais continuer notre collaboration. Et je t’avais fait plusieurs propositions. Mais tu m’avais répondu qu’après la composition d’Au monde, qui avait duré trois ans et t’avait plongé dans une grande noirceur, tu souhaitais quelque chose de léger, « un petit truc pour les enfants », qui t’immerge dans un autre type d’énergie.
Vous avez donc écrit un opéra pour les enfants…
P. B. : Oui, mais pas que pour eux ! Comme le dit Joël, il s’agit plutôt d’un regard sur l’enfance.
J. P. : Même s’il est destiné aux enfants, le conte publié par Carlo Collodi, entre 1881 et 1883, sous forme de feuilleton, fait preuve d’une grande violence, d’âpreté et de réalisme. Il y est question, à la fois, de pauvreté et d’ignorance. Quand Pinocchio arrive, il pense, avec beaucoup d’arrogance, qu’il est le centre du monde : les autres n’existent pas, tout doit tourner autour de lui.
Beaucoup de gens connaissent Pinocchio uniquement à travers le film de Walt Disney (1940)…
J. P. : Je ne fais pas partie de ceux qui crachent systématiquement sur Walt Disney, car je me souviens du plaisir que j’ai eu, enfant, à voir ses dessins animés. Mais ce n’est pas de lui que je me suis inspiré pour ma pièce. Mon premier contact avec l’histoire de Pinocchio a été le très beau film de Luigi Comencini, Le avventure di Pinocchio (1972-1975). Ensuite, j’ai lu le texte de Collodi que, bien sûr, j’ai resserré et adapté, mais en essayant de rester fidèle à l’esprit original. Alors que le personnage de Disney est lisse, rond, affable, celui de Collodi est anguleux, tranchant, représenté par des illustrations en noir et blanc… Le thème qui m’a le plus intéressé dans Pinocchio, c’est l’école, en réaction à l’ignorance. Cette idée que les enfants n’allant pas en classe finissent comme des ânes et se retrouvent à porter ce que les autres ne veulent pas porter, c’est-à-dire qu’ils atterrissent au plus bas de l’échelle sociale. Or, aller à l’école, ce n’est pas seulement se soumettre à une autorité, c’est aussi acquérir un savoir permettant de lutter contre la tentative de domination de l’autre, c’est se rendre plus fort. De la contrainte naît la liberté… Cette question avait beaucoup de sens dans l’Italie des années 1870-1880, et elle en a encore aujourd’hui.